Les
grands espaces – Catherine Meurisse – éditions Dargaud – 2018
Deux ans après l’immense La légèreté,
Catherine Meurisse nous offre une nouvelle variation autobiographique
idéalement nommée Les grands espaces. Dans cette dernière, elle nous
invite à la suivre dans l’évocation de ses souvenirs d’enfance lorsque ses
parents quittèrent la ville pour la campagne afin de leur offrir une éducation
plus conforme à leur valeur. D’une ferme en ruine, ils inventeront des
possibles aux nombreuses ramifications. Si c’est d’abord la pierre et «
l’épaisseur des vieux murs » qui s’offre à la jeune Catherine, c’est très vite
tout un monde enfoui, vivant, en friche qui va se révéler à elle. Ce qu’invente
les parents, mais aussi les enfants par leurs jeux, ce n’est pas un simple «
retour à la terre » et à ses prétendus valeurs terrestres, mais une manière de
nommer le monde qui les entoure, de faire de ces nouveaux paysages un lieu de
savoir en constante formation. Les jeunes sœurs vont s’initier à la lecture du
Roman d’un enfant de Pierre Loti, et s’en inspirer pour bâtir leur propre musée
empli des trésors exhumés du chantier en cours : fossiles, statue, poteries,
crottes de différents animaux… Quant à la mère de Catherine, lorsqu’elle plante
un rosier, il s’agit d’une bouture qu’elle a faite lors de sa visite de la
maison de Proust à Illiers-Combray. Il en va de même pour le figuier de
Rabelais. Quant à un vieux portail trouvé par le père sur une brocante, il est
posé entre deux charmes et devient ainsi « Le petit Trianon ».
La beauté n’est pas innée aux choses,
elle apparait dans la manière de les contempler, dans la façon dont on les
nomme . « Toutes ces appellations à quoi
vous servent-elles ? » demande au détour d’une case un nain de jardin
dubitatif. « A agrandir l’espace »
répond l’auteure enfant.
Catherine Meurisse n’a pas pour projet
de réaliser un livre célébrant la nature, elle vise, à travers ses souvenirs
–heureux- à nous donner les clés pour sublimer notre existence. Cet acte,
bouleversant, passe par l’évocation constante de la culture artistique. En
cela, Les grands espaces est un prolongement apaisé à La Légèreté. Dans
une telle acceptation, la littérature, le dessin, l’art en général, ne sont pas
de simples distractions mais des alliés pour rendre notre monde plus beau.
Les livres publiés depuis dix ans par
l’auteur de Mes hommes de lettres et Moderne Olympia , ont comme
point commun un goût pour l’érudition mêlé à un graphisme empli d’énergie et
d’humour. Si peu d’auteurs nous amusent avec une telle constance, ils sont peu
également à invoquer un besoin de culture avec tant de conviction.
C’est en toute modestie qu’elle nous
invite à ce voyage dans ses souvenirs fait de mélancolie, d’enthousiasme, de
bonheur, et de culture.
Par hasard, on lit cette phrase dans
une préface de Faust par Anatole France : "C'est le passé qui fait l'avenir de l'homme et l'homme n'est
au-dessus des animaux que pour la longueur de ses traditions et de ses
souvenirs (…) l'altération de la mémoire est chez les peuples comme chez les
hommes le premier signe de dégénérescence physique et morale."
…et on ne peut s’empêcher de penser au
livre que l’on vient de lire.
Catherine Meurisse est un des plus
grands auteurs qui soient.
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