Rouge Signal – Laurie Augusti – éditions 2042 – 2025
Il est difficile d’écrire sur Rouge Signal tant il nous semble qu’il faut laisser le lecteur vivre cette implacable expérience de lecture.
Dès le début des quelques 200 pages que compte l’ouvrage, l’autrice nous émerveille, depuis ses propositions graphiques à l’utilisation inédite de la couleur. Un repas ou un ongle peint deviennent par son prisme des motifs de célébration visuelle. On est séduit, « rassuré », par cette profusion de beauté.
Le récit alterne avec les scènes de deux quotidiens. Celui d’Alexandre, 28 ans, commercial dans une société moyenne. « J’ai un groupe d’amis, une corpulence moyenne, et très peu connu de femmes (…) J’ai une sœur mais c’est plus facile pour elle ». Et celui, collectif, de Marley, Clara, Lulu et Evi, qui travaillent dans un salon de manucure et « nail art » dans lequel ont lieu discussions et moments d’échanges.
Dès le départ, par la proximité géographique de l’ensemble des personnages, on sait que ces destins vont se croiser. On imagine que cette rencontre sera heureuse. On envisage ce lieu de vie qu’est le salon comme un lieu des rencontres possibles vers un parcours commun. Et pourtant…
Insensiblement, le récit se fractionne, laissant apparaitre des failles de plus en plus béantes dans la personnalité d’Alexandre. Une collègue, nouvelle venue, dont les mérites sont vantés par la direction, une jeune fille ne souhaitant pas répondre à ses avances, sont autant de micro-impacts qui vont progressivement le faire dériver vers une mythologie viriliste. Cette dernière est subtilement amenée par des discussions avec un collègue qui assène à haute voix ses vérités sur ce qu’il imagine être la place des femmes dans la société, tandis que les sites virilistes scrollés finissent de le faire glisser vers la radicalisation.
Nous n’en raconterons pas plus tant le choc de la première lecture fait partie du plaisir de la lecture de l’œuvre. Progressivement, l’émotion sera telle que nous serons « glacés », sans voix, tant le constat des tensions qui composent notre époque apparait plausible.
Toutes les planches sont composées avec minutie, taillées avec précision, afin de répondre aux exigences du récit. Les teintes faites de transparence, d’effacement, contribuent à amener une touche ouateuse à une narration dans laquelle semble poindre à chaque instant l’intensité d’une violence en gestation.
Si on en juge par l’impact, et la qualité d’absorption qu’a su provoquer en nous sa lecture, Rouge Signal est sans aucune hésitation une des plus intenses expériences qui soient. A la splendeur visuelle et à l’éblouissante construction scénaristique, Laurie Agusti ajoute une essentielle constatation sociétale.
Plus d'informations sur le site de l'éditeur:
https://www.editions2042.com/catalogue/p/rouge-signal


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