L’abîme de l’oubli – Paco Roca / Rodrigo Terrasa – traduction d’Eloïse de la Maison – éditions Delcourt – 2025

L’abîme de l’oubli – Paco Roca / Rodrigo Terrasa – traduction d’Eloïse de la Maison – éditions Delcourt – 2025

 


Depuis plus de vingt ans, l’œuvre de l’auteur espagnol Paco Roca a su décrire une histoire passionnante de l’Espagne contemporaine.

A la manière des pièces d’un puzzle, chacun de ses ouvrages semble s’imbriquer dans le précédent, établissant une cartographie intime et factuelle de son pays.

Rides, publié en 2007 et réédité sous le titre La tête en l’air, narrant le quotidien d’une personne vieillissante, atteinte de la maladie d’Alzheimer et « déposée » par sa famille dans une maison de repos, nous laissait déjà percevoir le malaise ressenti par notre société face aux personnes estimées sans utilité.

Ce regard empli d’humanité et d’impuissance ressenti par Paco Roca sur le sort de ses aînés est également un des fondements du remarquable La Nueve de 2014 qui raconte cette neuvième compagnie, composée majoritairement d’hommes, qui s’opposèrent à Franco par les armes en 1936, et qui furent au premier poste de la libération de Paris par la 2e division blindée du général Leclerc. Par le témoignage empli de désillusion d’un rescapé de la compagnie, c’est toute une population espagnole privée de son histoire qui était alors racontée.

On pourrait aussi évoquer le trop peu cité – et pourtant salutaire- L’Hiver du dessinateur qui évoque avec tendresse et mélancolie le destin de cinq dessinateurs rêvant d’indépendance dans l’Espagne franquiste des années 40.

Chacun de ces livres – majeur- a su révéler une histoire en palimpseste de l’Espagne.

L’abîme de l’oubli est nourri de ce même désir de ramener à la surface les failles les plus ensevelies de la dictature franquiste en nous décrivant le parcours de l’octogénaire Pepica Celda, dont l’espoir est de parvenir enfin à faire exhumer le corps de son père enseveli dans les fosses communes. « Il a fallu patienter pendant presque quarante ans pour que la dictature s’éteigne et que la démocratie revienne. Puis quarante années de plus pour que la démocratie se préoccupe de rendre leur dignité à ses morts. » Le processus d’exhumation des corps contenus dans la fosse n°126 permettra au fil du récit de découvrir un personnage bouleversant, désorienté et affligé, Leoncio Bádia, gardien et fossoyeur qui s’évertuera à accomplir sa mission imposée avec humanité et empathie. « Agis envers les autres comme tu aimerais qu’ils agissent envers toi » décrit-il à un moment. Tout en ayant conscience des risques encourus, il imagine « la période d’après », celle où un jour tous ces corps effacés seront enfin identifiés et rendus à leur famille.

Une fois de plus, Paco Roca, ici en association avec le journaliste Rodrigo Terrasa, nous offre un titre à la densité exceptionnelle, mêlant avec brio histoire passée et présente où les récits les plus intimes embrassent le souffle de l’Histoire.

Graphiquement, comme toujours, le trait séduisant de précision est magnifié par une mise en page inventive tirée au cordeau.

La bande dessinée espagnole peut s’enorgueillir d’avoir un auteur qui interroge sans cesse sa société avec tant d’élégance et générosité.

Plus d'informations sur le site de l'éditeur:

https://www.editions-delcourt.fr/bd/series/serie-l-abime-de-l-oubli/album-l-abime-de-l-oubli 

 


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