Monica – Daniel Clowes – traduction de Jacques Binsztock– éditions Delcourt – 2023
 


On n'avait pas eu la chance d’avoir entre nos mains une nouveauté d’un des plus grands auteurs contemporains depuis l’imposant Patience de 2016. Monica est la première authentique nouveauté publiée par les éditions Delcourt. Au premier contact de l’ouvrage, on est à la fois séduit par l’ouvrage et inquiet de la découverte du livre. Outre une relative faible pagination -non imputable à l’éditeur - la couverture brillante et la finesse du papier nous rappellent que les éditions Cornélius étaient parti prenante dans la qualité des éditions de Daniel Clowes en France. Nous étions habitués à cette exceptionnelle attention portée à la fabrication des publications de cet immense éditeur.

Cette « normalisation » des publications de Daniel Clowes allait-elle rejaillir sur l’impact de son œuvre sur le lecteur ? Monica est la preuve éclatante que l’auteur de David Boring est toujours en quête de perfection graphique et narrative.

Le livre se découpe en chapitres - « Foxhole », « Pretty Penny », « The glow infernal », « Demonica »...- qui ont tous pour particularité de disposer de leur unité propre tout en se fondant, avec une grande fluidité, dans un récit plus global qui raconte la/les vie(s) de Monica. 


N’hésitant pas à bousculer ses cadrages, son trait mais aussi ses systèmes narratifs, Daniel Clowes parvient à composer, scène après scène, un portrait riche et complexe de son personnage. Dès la naissance, Monica n’a pas été souhaitée, puis a été confrontée à de nombreux abandons. Cette recherche de ses origines va l’amener à assembler les pièces de sa vie, tout en mettant en doute ses propres souvenirs vécus.

La narration est concise, et malgré une lecture aussi captivante qu’un roman d’enquête, se révèle d’une richesse inédite. En une centaine de pages, l’auteur parvient non seulement à mettre en scène le déroulé d’une existence, mais aussi les possibles qu’elle a contenus.

Cet ambitieux projet n’écrase jamais l’humanité et l’émotion contenue dans les récits qui composent l’ouvrage. Rarement on a été aussi ému à la lecture d’un livre de Daniel Clowes. Comme à son habitude, ce dernier flirt avec le fantastique ou la science fiction, notamment avec l’évocation des prophéties annoncées par un « mouvement spirituel » sectaire qui permet aux disciples de « passer à travers le cône », mais également par la narration des souvenirs de Monica « abîmés » par un coma suite à un accident de la route. De nombreux éléments font glisser l’ouvrage vers une réalité mouvante où se mêle inquiétude et prise en compte du peu de fiabilité lié à l’aspect palimpseste de nos souvenirs.

Monica, sous l’écrin de sa forme, dévoile une richesse qui ne cesse de poindre sous sa surface.

On est persuadé que l’on pourra revenir vers ce livre inlassablement.



 

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