Salpêtre – José Luis Vidal & Jorge Gonzalez – traduction Thomas Dassance – éditions SPACEMAN project – 2023

 

Salpêtre – José Luis Vidal & Jorge González – traduction Thomas Dassance – éditions SPACEMAN project – 2023

 

 


Chaque publication de Jorge González est faite d’inédit. Son style graphique, sorte de palimpseste mêlant élégance et précision du trait luttant face à une exaltation de la matière, est exceptionnellement identifiable. Bandonéon, Chère Patagonie, Retour au Kosovo, Mécanique du fouet ou La flamme ont été chacun à leur tour des livres importants l’année de leur édition.

Cette maestria technique y épouse comme rarement les méandres des récits qu’elle accompagne. Il n’y a aucune complaisance auto-contemplative dans le travail de l’auteur argentin. Les images qu’il propose, d’une beauté sidérante, peuvent évoquer tout à la fois la plénitude, la grâce mais aussi l’effroi.

 

Salpêtre est un livre empli de toutes ces émotions. L’amorce du récit, située en 1914, nous narre le désaccord entre deux frères tiraillés par le poids de l’héritage familial. Jéronimo deviendra médecin selon les aspirations de son père, tandis qu’Agustín,  dans un geste de défi, veut devenir apprenti dans un atelier.

S’ensuivent les errances, les rencontres et les collisions des deux frères dans les rues de la ville de Cadix. Les rues s’y révèlent gorgées de vie, tout en étant érodées par une atmosphère vaporeuse et efflorescente. 

 


Les années s’écoulent jusqu’en 1947 où, subitement, des planches d’une effroyable beauté nous font vivre le traumatisme né d’une cauchemardesque explosion dans la ville portuaire. « La peur se reflétait sur le visage des gens que nous croisions. Personne ne savait exactement ce qu’il se passait ». Les corps deviennent voûtés, anonymes. La couleur poudreuse, telle des jets d’ocre rouge, semble elle-même faire disparaître l’architecture dans laquelle les personnages se meuvent.

 

 

Pour Cadix -et sa population-, une nouvelle histoire a démarré ce jour-là. « Cette vision est restée à jamais gravée dans ma mémoire, comme si cela avait eu lieu hier. La cendre et la suie laissèrent un triste dessin à mes pieds. ».

C’est cette infiltration de la mémoire collective de la ville ruisselant depuis ses profondeurs qui ne cesse de poindre à travers les êtres et les murs.

 

Avec Salpêtre, José Luis Vidal et Jorge González nous offrent une expérience de lecture fascinante, relevant aussi bien du romanesque propre à une grande saga familiale que de l'évocation des fêlures les plus enfouies. On ne peut être qu’éblouis par l’accord si intime se dessinant entre la délicatesse du récit et la splendeur du graphisme.

 


 


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