L'attente - Keum Suk Gendry-Kim - traduit du coréen par Keum Suk Gendry-Kim et Loïc Gendry - éditions Fututopolis -2021

L'attente - Keum Suk Gendry-Kim - traduit du coréen par Keum Suk Gendry-Kim et Loïc Gendry - éditions Fututopolis -2021

 


 

On connaît le travail de Keum Suk Gendry-Kim depuis l’inaugural Le chant de mon père en 2012. Après une année 2020 riche en publications (Alexandra Kim la Sibérienne, L'Arbre nu et Jon), elle intègre aujourd’hui les prestigieuses éditions Futuropolis avec L’attente imposant ouvrage dont l’importance est au moins équivalente à son titre phare Les mauvaises herbes publié en 2018.

 

Le premier volume du classique d’Art Spiegelman MAUS avait pour sous-titre « mon père saigne l’histoire ». Cet énoncé pourrait totalement s’appliquer à l’ouvrage de Keum Suk Gendry-Kim. Ici, c’est à la mère qu’est dévolu ce rôle narratif. Le livre, découpé en chapitres, démarre par ce terrible énoncé « J’ai abandonné ma mère ». Tout l’ouvrage sera marqué par ce sceau de l’abandon.

 

Keum Suk Gendry-Kim / Futuropolis

Du récit effectué par la mère, va se déployer l’histoire de la Corée depuis les années 30. Un pays où les habitants ont été contraints à la fuite, aux migrations afin d’éviter la violence physique, la faim, les humiliations. A une phase de colonisation autoritaire et répressive japonaise, naquit une Corée divisée en deux camps : l’un soutenu par l'URSS et la Chine, et l’autre soutenu par les États-Unis et le Royaume-Uni. La Corée en sortira dès 1953 divisée en deux États rivaux :  République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) et la République de Corée (Corée du Sud).

 

L’attente n’est pas un récit autobiographique, mais prend sa source dans les témoignages recueillis auprès de la mère de l’auteure. Elle nous y conte le récit de familles disloquées, dont la nécessité de survie les a parfois amenées à accepter les choix les plus inavouables « Une fois, j’ai croisé deux petites filles blessées (…) si on les laissait, elles risquaient de mourir de faim ou de froid (…) Mais je n’avais aucun moyen de les aider. Je suis passé à côté sans faire quoi que ce soit (…) comme tous les autres. ». Les enfants, les maris, les amis sont laissés sur les routes. L’abandon devient nécessité de subsistance.

Keum Suk Gendry-Kim / Futuropolis

 

Lorsque viendra enfin l’accalmie, nombre de coréens resteront hantés par la volonté de retrouver un mari, un enfant…La frontière entre les deux républiques les ayant parfois séparés à jamais

La beauté du récit de Keum Suk Gendry-Kim réside dans l’attention qu’elle accorde à chacun de ses personnages. La fidélité à leurs histoires passées y dessine une forme de noblesse.

« Ne t’en fais pas pour moi. Je tiendrai jusqu’au jour où nous pourrons nous retrouver. » prononce la mère vieillissante dans une vidéo à l’attention de son fils disparu. Ces récits d’exil bouleversants sont rendus sensibles par la mise en œuvre graphique de l’auteure. 

Si les planches d’exil sont éprouvantes, et sublimes, c’est qu’elles s’éloignent de l’anecdotique ou de l’illustratif, pour saisir l’intensité contenu dans un geste. Ainsi, le mouvement des pieds de la mère à la recherche de sa famille perdue de vue durant cet exode forcé, étalé sur cinq cases de formats identiques, permet d’incarner avec force son désarroi et sa perte de repère, tout autant que sa fatigue. « Chaque pas représentait une souffrance. »

Keum Suk Gendry-Kim / Futuropolis

 

Tout aussi émouvant est la contemplation des stigmates qui entachent le corps de la mère aujourd’hui vieillissante : dos courbé, taches sur le visage, doigts aux articulations paraissant douloureuses…qui plus qu’un symbole de déclin, semble être le signe d’une attention bienveillante de l’auteure pour cette femme qui a tant vécu.

Par cet imposant ouvrage, tout autant passionnant par son graphisme que par son propos, Keum Suk Gendry-Kim, parvient à donner à voir sous un nouveau jour l’histoire de son pays. Malgré la détresse qui s’y exprime, l’humanité qui traverse chacune des pages de L’attente en fait un livre empli de compassion et d’espoir.


 

 

 

 

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