Mécaniques du fouet, vies de Sainte Eugénie – Christophe Dabitch / Jorge Gonzalez – éditions Futuropolis – 2019 :

Mécaniques du fouet, vies de Sainte Eugénie – Christophe Dabitch / Jorge Gonzalez – éditions Futuropolis – 2019 :

Mécaniques du fouet est le fruit de la rencontre entre deux auteurs singuliers :
- Christophe Dabitch, scénariste, amoureux de l’histoire et des destins hors normes, à qui l’on doit des bandes dessinées politiques et aventureuses telles La colonne (avec Nicolas Dumontheuil), Mauvais garçon (avec Benjamin Flao) ou Le captivé (avec Christian Durieux).

- Jorge Gonzalez, auteur argentin installé en Espagne, dessinateur dont la virtuosité graphique est tiraillée entre la sensualité et l’abstraction. Chacun de ses rares livres est motif d’émerveillement. Bandonéon et Chère Patagonie se présentent comme de fascinants ouvrages, aux contours toujours mouvants.

Bandonéon / Chère Patagonie - Jorge Gonzalez - éditions Dupuis

Tous deux s’unissent pour nous conter l’étonnante destinée d’Eugénie Guillou, enfant de bonne famille que la soudaine déchéance sociale conduira à incorporer la congrégation Notre-Dame de Sion. Elle y restera douze années. Période qui se terminera par le refus de la mère supérieure quant à la prononciation de ses vœux de religieuse. Commencera alors un procès contre la congrégation, dont rien ou si peu ne sortira. Le reste appartiendra aux rapports de police qui décriront avec précision le commerce dont elle se rendra coupable : prostituée puis maquerelle. C’est en tenue de religieuse, adepte du fouet, qu’elle officiera désormais dans le Paris du début du XX° siècle. A la veille de la première guerre mondiale, ses traces se perdent – même si des éléments biographiques récents témoignent de bribes d’une existence plus tardive.
 Ce qui impressionne dès les premières pages de l’ouvrage, c’est de découvrir à quel point les deux auteurs semblent avoir été « hantés » par le destin d’Eugénie Guillou. Le scénariste y met en scène un narrateur -sorte de double- dialoguant avec son sujet. Il lui confie « Tu vas voir quelque chose à quoi tu ne t’attends pas. Personne n’a jamais osé dire ça sur toi (…) Je vais faire de toi une sainte, une vraie sainte ! Avec tout ce que tu es, tout ce que tu as fait, sans rien retrancher. » C’est à cette fin que le scénario va user de va-et-vient chronologiques, de mises en doute des données rapportées par la police, interrogeant l’hypocrisie d’une société moderne, tout en n’évacuant pas les zones d’ombres ou méconnues de la vie d’Eugénie Guillou. Si cette dernière semble toute sa vie refuser de se conformer aux règles, changeant régulièrement d’identité tout en n’hésitant pas à prendre la plume pour se raconter, Mécaniques du fouet se propose comme un éloge d’une forme de liberté. 


Jorge Gonzalez, malgré la profusion des techniques employées, réalise un travail d’une rare cohérence. Les différentes facettes de son personnage principal semblent gorgées de cette ivresse graphique. Quant aux décors et personnages secondaires, parfois à peine esquissés, ils semblent amplifier l’immense solitude de ce destin hors norme. Si le traitement pictural, les variations singulières de styles, auraient pu nous laisser craindre un amoindrissement dans l’incarnation du récit, c’est tout le contraire qui se produit.
Par leur complémentarité, les deux auteurs inventent un palimpseste d’émotions tout aussi instructif que déchirant. « Tu demandais à être un personnage, Eugénie, tu l’es devenue, ici, dans cette histoire ». On peut rajouter que l’on est pas prêt de l’oublier.


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