Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB,Tome 3 - Après la guerre – Jacques Tardi – éditions Casterman – 2018


Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB,Tome 3 - Après la guerre – Jacques Tardi – éditions Casterman – 2018


Démarrée en 2012, la trilogie Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB, prend fin avec cette nouvelle publication sobrement intitulée Après la guerre. Le premier volume était basé sur les carnets de guerre du père de l’auteur relatant sa captivité dans un camp de Poméranie durant presque cinq années. Ce récit se poursuivait dans un second opus consacré au chemin parcouru par les prisonniers encadrés par leurs geôliers, sur fond d’Allemagne en déroute. 


Dans ces deux livres, Jacques Tardi se met en scène sous la forme d’un enfant se permettant d’interroger, voire de moquer ou de dénoncer les propos tenus par son père. Personnage fictif, moteur de  la narration, il lui permet de s’extirper du simple témoignage pour emplir ses cases d’informations, de mises en causes et d’amplifier la richesse contenue dans chacune des cases.
Quatre années  d’attente furent nécessaires, entrecoupées de la parution de Le dernier assaut, avant d’enfin pouvoir lire cette nouvelle proposition.
Avec ce troisième volume, ce Jacques Tardi fictionnel  devait immanquablement se confronter à sa propre naissance en août 1946. Il faudra attendre la page 54 pour que soit lancé un « La vie te tend les bras, petit con ! ».


Et soudainement le récit plein de rage, mais aussi de silences indignés, se meut en une œuvre autobiographique comme jamais nous n’en avions lu.
Si la littérature nous avait appris la complexité du retour de ceux qui n’avaient été « que » prisonniers. Jacques Tardi de par la complexité du dispositif qu’il met en place parvient à tisser nombre de fils narratifs, du plus personnel au plus universel. Jamais, il ne s’appesantit sur une douleur qui lui serait propre. Ce que nous raconte l’auteur, c’est la complexité de ses années d’après-guerre. Comme à son habitude, il énumère avec force les événements peu glorieux de l’Histoire. Il s’enrage de toutes ses trahisons, excès de zèle et guerres inutiles. Les vainqueurs ne sont pas glorieux. Capables des pires abominations à leur tour. Les femmes sont tondues en place publique par de « bons français ». Pourtant, au sein de cette rage, l’humanité semble prendre le dessus. Si Tardi dénonce, c’est aussi parce qu’il a une tendresse  pour ces gens emportés par un fil de la vie qui bien souvent les dépassent. Au milieu de toutes ces abominations commises par l’homme, Tardi s’offusque, lutte, répète son indignation pour une raison simple : il est de leur côté. Il n’a pas renoncé à les comprendre.


Là où certain de ses récents – et admirables - récits étaient à charge, il semble ici pénétrer dans la complexité des êtres comme jamais auparavant.  Le recours à l’autobiographie, lui permet de rentrer dans l’intime, de procéder à la fois comme un documentariste –l’attention porté au moindre objet- mais aussi à l’évocation de ces vies bouleversées.
L’enfance n’y est pas un lieu de nostalgie. Elle est un espace de jeux, de découvertes, mais aussi d’incompréhensions, et d’humiliations. Ce que nous raconte Tardi c’est l’Histoire commune d’une certaine France. Celle qui nous est si peu racontée.

Avec ce troisième tome de  Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB,  Jacques Tardi, continue à inventer son œuvre, et à lui insuffler vitalité et innovation. Oscillant sans cesse entre une pleine maîtrise de son moyen d’expression et une méfiance en un art figé, il ne cesse de se réinventer depuis 1972. Il nous offre aujourd’hui une des plus belles pages de son incomparable parcours.

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