Indélébiles - Luz - éditions Futuropolis - 2018

Indélébiles - Luz - éditions Futuropolis - 2018 


Tout en reconnaissant la qualité du travail de dessin Luz, je ne suis pas un inconditionnel de ses ouvrages. C’est donc avec intérêt mais non enthousiasme excessif que je m’apprêtais à lire son nouvel opus. 

Indélébiles est un grand livre. Un de ceux qui vous capte dès son ouverture et vous oblige à veiller tard la nuit dans le but d’atteindre l’ultime page. On est happé par le dynamisme qui s’étire tout au long des 314 pages qui égrènent les souvenirs de l’ex auteur de Charlie Hebdo. Ce portrait aurait pu s’apparenter à un mille feuilles d’anecdotes, mais grâce à la vitalité de son trait, la fluidité de sa narration et son invention graphique constante, Luz parvient à nous offrir un livre d’une cohérence et d’une énergie rare. 

L’émotion est là dès l’ouverture : l’auteur voit l’ensemble la rédaction de Charlie Hebdo travailler dans une même énergie. Il leur parle mais aucun son ne sort de sa bouche. Cabu s’absente des bureaux, Luz le suit, tente de hurler afin de le retenir, mais toujours aucun son…juste un phylactère irrémédiablement vide. Soudain, la bulle immaculée coincée dans sa gorge, il se réveille auprès de sa femme qui lui demande s’il a fait un cauchemar. Sa réponse est lancinante : « Non…Pire : un rêve…Je sais pas…tout était normal…atrocement normal…comme avant… » . 
Ce que nous raconte Luz, c’est la belle énergie, complicité qui a uni les membres de cette rédaction. Du séminal Cabu, en passant par Gébé, Wolinski, Tignous, Charb ou Catherine Meurisse, tous participent à cette aventure collective qui a marqué à jamais l’auteur. C’est un hommage à ces auteurs, et à leur passion commune pour le dessin de presse qu’il nous offre aujourd’hui. Qu’il s’agisse de ceux assassinés en janvier 2015, mais aussi ceux disparus bien avant comme Gébé, chacun est mis en avant dans ce qu’il avait de plus humain et talentueux. 


Le sens de l’observation de Luz, parvient par le dessin à rendre les postures, les gestes, qui semblent le temps d’une lecture ramener à la vie les nombreux personnages qui peuplent ce livre. 

Cabu est à ce titre fascinant à observer dans son obsession du dessin et dans son décalage vis-à-vis du monde qui l’entoure. Il est représenté à la fois dans sa générosité et son immense talent (essayez un peu de dessiner avec un carnet caché au fond de la poche  !). 
On peut ne pas partager l’humour transgressif de Charlie hebdo, mais force est de constater que ce que sait mettre en exergue Luz, c’est le côté « bon-enfant » d’une bonne partie de l’équipe, ainsi que l’émouvante humanité qui émane des relations évoquées. 

C’est cette émotion qui vous étreint dans les 20 dernières pages du livre. Evoquant la mort de Johnny Hallyday, Luz nous offre – c’est un don qu’il partage avec nous- l’évocation de ce qu’aurait été cette journée si les disparus étaient encore là-y compris Gébé. Cabu y devient l’attendu « homme du jour » venant livrer son dessin de couverture à la rédaction. La feuille nous apparait de dos, provoquant l’hilarité et l’admiration des collaborateurs. Ce dessin, cet espace blanc qui restera à jamais à remplir, on imagine qu’il est le plus beau témoin du talent de Cabu. On imagine aussi qu’il est le seul linceul que pouvait offrir Luz à ses amis disparus. 

Indélébiles est un livre d’une incroyable beauté.

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