Pittsburgh – Frank Santoro – éditions çà et là – 2018

Pittsburgh – Frank Santoro – éditions çà et là – 2018


La ville de Pittsburgh a été un fleuron industriel dans les années 50. Puis vinrent les crises économiques qui petit à petit aboutirent à la fermeture des usines et à une érosion de sa population. Frank Santoro comme tant d’autre a un jour quitté cette ville. « J’ai quitté Pittsburgh un jour après la fin du lycée en 1990, ceux qui pouvaient partir partaient, pour ne revenir qu’à Noël ou aux enterrements, et quand on avait de la chance ça se passait le même week-end»

L’usine a été remplacée par l’hôpital, employant le père et la mère de l’auteur. Pourtant s’ils s’y croisent régulièrement, ils n’échangent plus un mot. 

C’est qu’un jour après le départ de leur fils, Anne Marie et Frank se sont séparé et n’ont cessé alors de faire semblant de ne pas se voir. C’est sur cette histoire, ce désir intime que ses parents soient ensemble, « pour qu’ils voient que le fait qu’ils soient morts l’un pour l’autre est un mensonge qui me tue », que Pittsburgh s’est construit. 


Frank Santoro nous offre un livre sur la mémoire, celle de sa famille, celle d’une ville mais aussi celle d’une nation toute entière. Remontant le fil de sa vie au gré des rencontres, il établit un ouvrage extrêmement habile et bouleversant non seulement sur la vie de gens, mais aussi sur ce qu’est construire une œuvre d’après ses souvenirs. Si un regard rapide nous donne la sensation d’un ouvrage diffus, flou, aux couleurs inhabituelles, on est très vite envoûté par la délicatesse avec laquelle l’auteur reconstruit son passé. L’horizontalité de la mise en page semble nous renvoyer sans cesse à celle des plans de déambulation dans Pittsburgh. Comme le titre l’indique, le ferment de toutes ces vies c’est la ville elle-même. Celle-ci est magnifiée par le graphisme atypique de Frank Santoro. C’est sur ces scènes urbaines que ce dernier dispose ses personnages parfois découpés, aux scotchs apparents, afin de leur rendre vie, de les réintégrer à des décors non-oubliés. Ils paraissent fragiles, mouvants. Le souvenir s’y reconstruit à l’inverse d’un palimpseste. On ne gratte pas l’image pour y découvrir des choses enfouies, mais plutôt chacune d’elle appelle un ajout, une nouvelle présence. C’est la vie qui fait œuvre dans le travail de l’auteur, à travers la monstration de ses gestes graphiques. Quelle plus belle preuve de sa pertinence que l’émotion provoquée par la contemplation de ces traces d’incantation d’une mémoire enfouie. L’auteur, tout autant que nous, semble tout au long du récit sidéré par ce qui semble se jouer dans son acte. Pittsburgh mêle avec brio écriture et graphisme et révèle des sentiments et une sincérité dans la réalisation qui n’auraient pu être transcris dans aucun autre médium.




Commentaires