Malaterre – Pierre-Henry Gomont –
éditions Dargaud – 2018
Le premier chapitre de Malaterre
s’intitule « La fin » et démarre par le décès de Gabriel, homme au physique de Steve MacQueen émacié, s’effondrant
au cœur de l’Afrique Equatoriale. La suite du livre, va nous faire revenir sur
l’existence de ce personnage charismatique dont le caractère ne sut jamais s’adapter
au banal quotidien. Marié un jour à la jeune Claudia, dont il est éperdument amoureux,
il se rêve installé dans une vie bourgeoise qu’il a toujours refusée. Ainsi
naîtront Mathilde, Simon et Martin. « Mais
très vite, les vieux démons ressurgissent », et Gabriel s’enfuit à
nouveau. Son salut, il va le trouver dans sa fascination pour la splendeur déchue
de sa famille incarnée par une somptueuse demeure au cœur de l’exploitation forestière
qu’il veut, à tout prix, perpétuer. S’il revient momentanément à Paris, c’est
pour obtenir la garde de deux de ses enfants afin de leur donner le goût de ce
royaume si fragile. Pourtant Gabriel
Lesaffre, malgré ses nouvelles ambitions, continuera irrémédiablement à se
consumer.
Deux ans après le bouleversant Pereira
prétend, adapté d’Antonio Tabucchi, Pierre-Henry Gomont, revient avec Malaterre,
dont il signe à la fois le scénario et la réalisation visuelle. L’ouvrage
copieux d’environ 200 pages est découpé en chapitres et se lit de bout en bout
avec émerveillement. Non pas que les sujets abordés y soient légers, mais la
construction et le style narratif employé savent transmettre un élan vital tout
au long du récit. Si Gabriel Lesaffre est présenté dès sa première apparition
comme un personnage égoïste et sanguin, capable des pires turpitudes, il
possède également un charisme et un goût pour la liberté, pour la
non-conformité, qui ne peuvent nous empêcher d’éprouver de l’attachement pour
sa personnalité si loin de la mollesse du monde qui l’entoure. Pourtant, malgré
sa superbe, Gabriel semble vaincu dès le départ. S’il lutte, c’est en vain.
Telle sa propriété au sein de la jungle,
il apparait tout autant majestueux qu’empli d’une mélancolie funèbre. Son temps
est irrémédiablement révolu.
Face à ce monstre d’individualisme, les
enfants apparaissent tout autant comme les victimes que comme les bénéficiaires
d’une éducation avortée. Vivant par alternance des sentiments de liberté, de
félicité, puis soudainement d’ennui et de peur. Cette existence n’est pas enviable,
mais leur permet néanmoins de s’exprimer, de vivre pleinement leurs émotions,
le temps des absences répétées de leur père.
Le graphisme, et la mise en couleur de
Pierre-Henry Gomont parviennent à évoquer à la fois la sensualité des décors,
la moiteur des paysages, mais aussi la fragilité des instants. Son trait, tout
à la fois précis et énergique, retranscrit à merveille des gestuelles
enfantines, des émois adolescents ou de soudains enivrements.
Quant au texte narratif, il alimente
avec délice l’image proposée. Ainsi, la jungle – qui enserre la propriété- devient tout aussi fascinante
par sa représentation graphique que par la description qui en est faite. « C’est un expérience unique. Une
déflagration, une réminiscence. Elle aime tout. L’épaisse chair végétale des
feuilles, le lourd balancement des hauts bois noirs qui émergent de la nappe
verte, le murmure sylvestre. ».
Au final, Malaterre se révèle une
œuvre sensorielle et réflexive dont chaque élément semble avoir été ciselé –
mais non figé- par son auteur. Il est
évident que cette histoire familiale nous accompagnera longtemps. Bien au-delà
de la lecture du livre. « Il y eut
cette famille, qui eut ce trajet. Puis il y eut d’autres familles. »
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