Quelques questions à Aude Mermilliod concernant Les reflets changeants- éditions Lombard 2017.

 Quelques questions à Aude Mermilliod concernant Les reflets changeants- éditions Lombard 2017.


Dans Les reflets changeants, Aude Mermilliod invente  une narration toute en délicatesse dans laquelle tout semble irrigué par un véritable sentiment de vie. Du quotidien ordinaire, elle parvient à extraire une dramaturgie à l'intensité constante. Si l'été du pays niçois irradie le récit de sa langueur et de sa monotonie, c'est dans la captation des détails -souvent silencieux- que naissent les plus belles émotions: une ombre sur un visage,un corps s'essayant à la séduction, un paysage parcouru... Durant l'ouvrage, il sera question d'existences blessées, de rancœurs nées de la guerre d'Algérie, d'attentes déçues, d'incapacités à devenir celui qu'il faudrait être. Mais ce que parvient par dessus tout à orchestrer Aude Mermilliod, c'est le ballet incessant des corps qui semblent, à l'image de la couverture, s’évertuer à atteindre un état d'apesanteur tant espéré. Jamais l'ouvrage ne s’embarrasse d'explications ou de jugement. Les personnages y vivent au risque de s'y perdre. Les reflets changeants fait partie de ces livres rares qui vous rappellent que la beauté existe, même dans la plus apparente banalité.

C'est avec une grande générosité, et gentillesse, qu'Aude Mermilliod,  a accepté de répondre à nos questions. 




1° Vous proposez depuis quelques années un blog consacré au voyage intitulé La fille voyage. Les reflets changeants est votre première bande dessinée publiée. Pouvez-vous nous dire s’il s’agit de votre première « envie » de réalisation d’une bande dessinée ? De par son côté contraignant, solitaire, le fait de réaliser une bande dessinée peut sembler assez éloigné d’une vie de « globe-trotter ». Avez-vous pu mener de front les deux activités ?

Bonjour ! Alors non, j'avais déjà fait quelques planches avant de me lancer dans Les reflets changeants. Mais rien de bien bien sérieux, c'était plus des laboratoires personnels. Le premier vrai projet, c'est vraiment ce premier album. 
Concernant les voyages, ils en ont pris un sacré coup depuis que je suis devenue autrice à temps plein ! Ce n'est malheureusement pas possible de concilier mon mode de voyage, à savoir assez lent, et le fait de faire une bande dessinée dans un temps donné. Effectivement, on est bien plus seule face à ses planches que dans la blogosphère, où les retours et les échanges sont permanents. 



2° Les reflets changeants se déroule sur la Côte d’Azur, de Nice à Villars-sur-Var. A la différence de beaucoup de bandes dessinées, ce lieu géographique est représenté avec méticulosité (paysages, mais aussi rues, commerces…) sans jamais tomber dans la vision « touristique » attachée à cette région. Pour peu que l’on connaisse celle-ci, le cheminement des personnages semble totalement vraisemblable. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a amené à situer votre histoire dans cet espace géographique ?

La genèse de ce livre est la fin de vie de mon grand-père, et lui et ma grand-mère vivaient à Cannes. Je me suis alors replongée dans mes souvenirs d'enfance, j'ai mélangé tout ça avec des voyages plus récents à Nice, et peut-être que mon vécu de voyageuse qui prend son temps pour regarder a fait le reste. C'était de toutes façons bien plus naturel de dessiner la Côte d'Azur que n'importe quel autre lieu, mes racines viennent de là-bas.




3° On découvre à la fin de l’ouvrage que «cette histoire est librement inspirée de la vie de mon grand-père, ce sont ses mots qui figurent dans le journal intime d’Émile». Pour autant, votre livre, nourrit de ce vécu, est une fiction dont la narration est élégamment construite. Avez-vous envisagé de proposer une autobiographie, en tout cas une véritable biographie de votre grand-père avant d’avoir recours à la fiction ? Pourquoi ce choix ?

Ce sont surtout les circonstances de la fin de vie de mon grand-père qui m'ont semblé avoir un potentiel narratif fort, mais surtout en y ajoutant des regards différents, venant d'époques différentes. Un drame ordinaire vu et vécu par trois personnes qui n'ont rien en commun. Mais mon grand-père ferait à lui seul un très bon personnage, avec de l'empathie on peut faire de chacun un héros ou un anti-héros. 



4° Une des grandes beautés de votre livre –outre de laisser le temps à la contemplation- est le travail non seulement sur la gestuelle des personnages, mais aussi –ce qui est plus rare- sur la grâce ou la pesanteur des corps. La couverture du livre en étant une élégante illustration. Avez-vous conscience de l’importance de ce fait dans votre travail ? En partagez-vous l’analyse ? Réalisez-vous nombres de croquis préparatoires –d’après modèles ou non- afin de vous accaparer vos personnages avant la réalisation proprement dite ?

Merci beaucoup de cette remarque ! Pour moi il était primordial que les personnages soient crédibles, qu'ils soient beaux dans leurs impuissances et leurs puissances. Je ne suis pas émue par les personnages dont les corps sont trop parfaits, trop jolis, il me faut un peu de rugosité. C'est par une foule de petits détails que l'émotion arrive jusqu'au lecteur, les corps sont le véhicule de tout ça.





5° Une lecture récente vous a-t-elle particulièrement séduite ?

La bande dessinée que j'ai lu récemment et qui m'a particulièrement plu est Bâtard, de Max de Radiguès. Il réussit dans ce livre à se servir de tous les éléments du film road-movie américain, mais grâce à son trait et justement aux personnages nuancés et complètement crédibles, on ne s'ennuie pas une minute, on est touchés, ça fonctionne super bien. 


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