Quelques questions à Nicolas Debon concernant L'Essai - éditions Dargaud 2015.



Quelques questions à Nicolas Debon concernant L'Essai - éditions Dargaud - 2015.
 
Depuis 2009 et son premier ouvrage de bande dessinée Le tour des géants, on attend avec impatience chacune des nouvelles parutions de Nicolas Debon. Suivirent L'invention du vide (2012), puis L'essai, nouvelle proposition parue au mois de mai 2015 et dont on dit tout le bien que l'on en pense ici.
Nicolas Debon a la particularité de parvenir à mêler ouvrage documenté et souffle romanesque tout en laissant une place importante à la simple contemplation de ses images. Ainsi restent en notre mémoire les sommets enneigés de L'invention du vide ou les saisons modelant les paysages et ponctuant l'activité des hommes dans L'Essai. Autant de paysages qui deviennent de véritables acteurs de son récit. Nicolas Debon est un auteur qui compte pour nous. Et c'est une grande joie de vous proposer l'entretien qu'il a accepté de nous accorder avec gentillesse et attention.




1- Votre premier livre de bande dessinée (hors ouvrages collectifs) date de 2009. Pouvez-vous nous raconter votre parcours pré-bande dessinée et nous expliquer ce qui vous a amené progressivement à ce médium ?

Ma carrière dans la BD a démarré sur le tard… Après des études à l'école des beaux-arts de Nancy, j'ai travaillé comme assistant dans des organismes culturels, en France puis au Canada. Après quelques années, j'ai pris l'habitude de dessiner le soir, en rentrant du travail. Un éditeur auquel j'ai montré mes illustrations m'a proposé d'illustrer un livre pour enfants, puis un second. Un jour, j'ai sauté le pas et suis devenu illustrateur à temps plein… C'est en essayant d'écrire une histoire pour les enfants que j'ai commencé à utiliser le langage de la bande dessinée, car je n'arrivais pas à écrire un texte sans dessins. D'une part, l'emploi des bulles me semblait supprimer une distance entre le texte et l'image ; et puis, l'aspect séquentiel qu'offre la BD me semblait permettre d'apporter plus de nuances, d'épaisseur à une histoire ; en tout cas il me convenait mieux !



2- Vos deux premiers ouvrages (Le tour des géants/ L'invention du vide) avaient un ancrage documentaire commun : nous conter un «exploit sportif» (le Tour de France / la naissance de l'alpinisme moderne). Votre nouvelle proposition s'intéresse à une aventure communautaire, celle initiée par l'anarchiste Fortuné Henry à proximité d'Aiglemont en 1903. Avez-vous abordé cet abandon de «l'événement sportif» comme un véritable virage dans votre travail? Quelles étaient vos intentions en abordant ce «pan» de l'Histoire ?

Chacun de mes albums m'apparaît rétrospectivement comme une sorte de "laboratoire" dans lequel plusieurs axes de recherche cohabitent de manière plus ou moins consciente, et que j'aurai envie de continuer à creuser dans l'album suivant… C'est vrai que les deux premiers albums étaient construits sur le récit d'exploits sportifs, mais je considère L'Essai comme leur continuité : il y est à chaque fois question de la réalisation d'un projet un peu fou, du rapport entre quelques êtres humains, de l'interaction des éléments… Un des défis que représentait L'Essai est la situation de huis-clos : cette fois-ci, les personnages resteraient à la même place ; seul le passage du temps, que j'ai tenté de représenter par le défilement des saisons, les aménagements progressifs de la colonie et l'évolution de la psychologie des personnages, fait progresser le récit.



3- Une des grandes forces de votre livre est de réussir à faire coexister forte teneur documentaire et souffle romanesque. Vos personnages semblent fait de chair, jamais prétexte à nous raconter l'Histoire. S'en suit une véritable implication du lecteur dans le récit qui lui est proposé. Quelles sont les étapes d'élaboration dans l'écriture de votre scénario ?

Je commence par un gros travail de documentation. Je prends beaucoup de notes, même si les trois-quarts n'entreront pas dans l'album. J'ai aussi eu la chance de pouvoir visiter la "clairière des anarchistes", rencontrer des habitants du village… A un moment donné, à force de tourner autour des personnages "historiques", ils commencent à acquérir une voix, un caractère, une démarche : c'est à ce moment que je commence à écrire le scénario (plus exactement une esquisse dessinée de chaque planche), qui donne quelquefois l'impression de se composer en écriture automatique… J'oublie alors momentanément la documentation pour laisser les personnages dessinés évoluer selon leur propre dynamique.

4- Une autre grande force de votre travail est la grande place que vous laissez à la sensation, au ressenti, notamment dans l'utilisation que vous faites des paysages. Il n'est pas rare de s'y abandonner à la contemplation. Un sommet montagneux bercé de lumière ou un champ labouré peuvent ainsi devenir motif d'émotion. Il me semble que cette «vie propre» laissée aux paysages, aux choses comme elles sont, est la donnée la plus spécifique -et originale- de votre travail. Pouvez vous nous parler de votre rapport à l'utilisation de ces paysages, et quel est leur rôle dans la construction de vos récits ?

Comme vous le suggérez, je suis attiré par l'expression des sensations. Je pense être influencé par la peinture française grosso modo contemporaine de mes personnages, de l'impressionnisme aux nabis, qui eux aussi cherchaient à suggérer plutôt qu'à représenter… Par cette attention particulière que vous soulignez portée aux paysages, aux lumières, je crois être intéressé par la représentation des "vides" situés entre les personnages et le monde qui les environne, et aussi celle de l'espace et des distorsions qui existent entre le temps de l'histoire vécue et celui de la narration dessinée… Une sorte de recherche du temps perdu en quelque sorte !

5- Vos planches allient «synthétisme» des formes et beauté picturale. Pouvez-vous nous expliquer vos techniques employées ? Travaillez vous la planche comme une unité ou case par case? Quels sont les formats employés ?

Comme on l'évoquait plus haut, je suis venu à la bande dessinée avec un bagage d'illustrateur jeunesse. J'y ai apporté des techniques très traditionnelles et relativement fastidieuses (gouache, crayons de couleur et encrage à l'encre de chine), tout cela en couleurs directes sur papier de format A3. D'un autre côté, l'illustration jeunesse m'a appris à simplifier ou éliminer ce qui ne me semble pas indispensable à la narration, notamment les formes et les détails. Je n'ai jusqu'à présent jamais utilisé l'ordinateur pour assembler ou recadrer les cases, du coup j'ai une approche globale de chaque planche.

6- Quelques mots pour terminer sur les livres (bandes dessinées ou autres), auteurs, dessinateurs, peintres… qui ont une importance particulière pour vous.

La BD m'a accompagné depuis l'enfance sans en être à l'époque un lecteur assidu. J'ai beaucoup été influencé par d'autres univers : l'art contemporain, la peinture classique et moderne, la photographie, la littérature, le cinéma, mais aussi les voyages, les rencontres, les sports que j'ai pu pratiquer… A l'âge adulte, la lecture de Maus, d'Art Spiegelmann, m'a donné une véritable claque, en me montrant qu'il était possible d'exprimer des choses très personnelles dans une bande dessinée. Je me souviens également de l'influence d'un auteur anglais atypique, à mi-chemin entre BD et illustration : Raymond Briggs, dont j'adore l'apparente simplicité de narration.

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