Les faux visages – David B. et Tanquerelle – éditions Futuropolis – Janvier 2012. Ou pourquoi David B. doit être grand prix d'Angoulême en 2012.


Les faux visages – David B. et Tanquerelle – éditions Futuropolis – Janvier 2012.
Ou pourquoi David B. doit être grand prix d'Angoulême en 2012.


D'abord un peu craintif, j'ai finalement fini par acheter Les Faux Visages. Pourquoi être craintif alors que cet album est le fruit de deux auteurs que j'apprécie particulièrement ?

Tanquerelle a réalisé le magnifique La communauté, ce genre d'album qui peut influer sur vos choix de vie, rien que ça. On lui doit également les très réussies relectures de Jorn Riel. Quant à David B., il a inventé un univers graphique dont la force et la cohérence me fascine album après album. De plus, loin d'être l'homme d'un coup d'éclat -L'Ascension du Haut-Mal- il s'est révélé au fil des années un des plus grands scénaristes actuels. Ainsi, et cela n' est pour moi pas assez dit, il a su inventer parmi les plus beaux scénarios de la BD de ces 15 dernières années. On peut citer Les Ogres avec Blain, Le Capitaine écarlate avec Guibert ou le plus récent Terre de feu avec Micol.

Alors d'où vient cette méfiance ? J'ai eu peur que ces deux auteurs se laissent aller à suivre une mode de films sur la vie des grands truands français, particulièrement issus des années 70 ( Carlos, Mesrine...) accompagnée d'une certaine forme d'héroïsation. Même si je reconnais que Carlos de Assayas est un très beau film. Mais, j'avais peur surtout de perdre dans ce récit ce qui fait la spécificité de David B. : une noirceur, une mythologie propre faite de mythes, de légendes, et de références littéraires à Mac Orlan, Marcel Schwob, et autres romanciers plus ou moins connus. Ce mélange subtil qui fait que lorsqu'on lit un scénario de David B., on ne sait plus s'il s'inspire d'histoires réelles ou de littérature qu'il a fait sienne et rendu avérée.

Le début de la lecture ne me rassure pas. Je vois ces trognes de gangsters avec moustaches et rouflaquettes, et je ne peux m'empêcher de penser à Vincent Cassel grimé dans Mesrine. Non pas que le film soit mauvais, mais je suis loin de l'univers du grand David B.

Très vite, une touche d'humour bienvenue me rend l'album sympathique : une course poursuite entre preneur d'otages et la police
qui tourne au désavantage de la police. Le trait de Tanquerelle vient ici renforcer l'absurde de la situation.

Un peu plus tard, un des membres du groupe de malfrats a une idée : « -Vous connaissez Marcel Schowb? (...) il a beaucoup écrit sur les bandits. Dans une de ses nouvelles, il parle d'une bande du Moyen-Age : des chevaliers brigands pendant la guerre de 100 ans (…) Cette bande s'appelait « Les Faux Visages ». Ils portaient des masques peints comme des visages pour se cacher. » Et là, on retrouve David B., on quitte une forme de réalisme pour rejoindre le romanesque. On se surprend alors à relire le sous-titre de l'album « Une vie imaginaire du Gang des Postiches ». Ce terme IMAGINAIRE fait toute la différence. Ce que travaille David B. ici, c'est la confrontation d'une sorte de brutalité de la reconstitution des événements à une vision romanesque de l'événement.

La grande idée est de prendre des truands qui, même s'ils ont existé, n'ont ni revendication, ni implication politique. On ne se demande finalement que très peu si les faits sont exacts. On est juste happé par ces truands déguisés en personnages de Tintin afin d'effectuer un casse, par ce personnage qui parvient à s'enfuir et qui semble comme avalé par le quartier, par la plongée dans la paranoïa d'un autre ou par ce policier qui cite Gérard de Nerval... Autant d'éléments qui tissent une trame infiniment romanesque.

On est très loin des films récents sur les truands français. Les personnages eux-mêmes semblent se rendre compte de ce décalage lorsqu'ils discutent de l'écart entre eux et d'autres braqueurs : « Tu veux attaquer des fourgons au lance-roquette et à la Kalachnikov ? Tu veux dire que notre belle époque est en train de finir et qu'il faut songer à la retraite ?».

Face au réalisme, David B. prend le parti du romanesque et il est en cela magistralement aidé par le travail de Tanquerelle qui parvient à rendre la brutalité et le réalisme des scènes d'action -la dernière fusillade est à ce titre magistrale- tout en appuyant les scènes d'humour. Il parvient, ce qui est un tour de force, à trouver le juste degré entre réalisme et héros de papier.

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