Kinderzimmer – Ivan Gros (d’après le roman de Valentine Goby) – éditions Actes Sud BD – 2024
En 2013, Valentine Goby publiait Kinderzimmer – « la chambre des enfants » - dans lequel elle racontait l’histoire de Mila, jeune fille de vingt-deux ans détenue au camp de concentration de Ravensbrück en 1944.
« Ravensbrück était un camp de travail pour femmes unique en son genre (…) On y accouchait, on y croisait des enfants. Ils y mourraient. »
Le livre proposé par Ivan Gros n’est pas qu’une adaptation d’un roman poignant. La douleur de son sujet et les multiples écrits et réflexions quant à l’impossibilité de « raconter » ce qu’était un camp de concentration -hors des témoignages des personnes ayant vécu ces événements- est peut-être le véritable sujet de l’ouvrage.
Dès l’ouverture de Kinderzimmer, Ivan Gros affiche des réflexions comme autant de stèles anonymes, dans lesquelles il précise son projet.
« C’était parce que je dessinais que Moumette m’a abordé la première fois. Elle présidait l’amicale des anciennes déportées de Ravensbück (…) Elle était révoltée par la disposition muséographique du Mémorial (…) Elle percevait l’essoufflement des rituels attachés à toute cette machinerie de mémoire qui ponctuaient son existence (…) Elles allaient disparaître bientôt et avec elles leurs paroles. »
Rompre avec l’interdit de la figuration pour perpétuer la mémoire… tout en ne négligeant à aucun moment le risque inhérent à ce projet.
La démarche d’Ivan Gros a consisté à récolter le maximum de dessins réalisés par les femmes prisonnières de Ravensbrück – en captivité ou d’après leurs souvenirs – afin de les utiliser comme matière même de son livre. Chacune de ses planches se contraint à respecter les documents témoignages afin de les intégrer dans sa narration. Ainsi, la réécriture du roman de Valentine Goby s’apparente à un travail de reconstruction et de respect de celles qui ont subi l’Histoire. Chaque dessin des déportées est signalé par un numéro qui renvoie à la fin de l’ouvrage au nom de l’autrice d’origine, mais n’est pas isolé de l’ensemble du récit. Pour ce faire, Ivan Gros a réussi à inventer un graphisme qui permet d’assurer une continuité entre éléments « documentaires » et fictionnels.
« Reconstituer la vie imaginaire et hautement probable de Mila à la lumière des dessins de déportés. »
Les planches emplies de textes à la manière d’un mur fait de briques sont passionnantes dans leur réflexion, évoquant tour à tour Georges Didi-Huberman, Charlotte Delbo ou Claude Lanzmann.
Ivan Gros parvient à proposer un livre mêlant fiction et documentaire avec une grande aisance. On est bouleversé par l’histoire de Mila tout autant que par les réflexions que Kinderzimmer réanime. Remarquable tout au long de ses presque 400 pages, l’ouvrage parvient à proposer de l’inédit et à ainsi ranimer cette douloureuse mémoire. Le livre est en ce sens indispensable.
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