Victory parade – Leela Corman – traduit par Jean-Paul Jennequin – éditions çà et là – 2024

 Victory parade – Leela Corman – traduit par Jean-Paul Jennequin – éditions çà et là – 2024


Rose Arensberg exerce le dur métier de soudeuse sur le chantier naval de Brooklyn. En 1943, l’absence des hommes partis combattre en Europe a obligé les entreprises à recruter des femmes, elles-mêmes dans l’obligation d’accéder à des revenus.

Elle élève seule sa fille et héberge une jeune juive allemande, émigrée afin d’échapper à l’antisémitisme. Dans ce quotidien marqué par les absents, les femmes se construisent, s’octroient de nouveaux rôles, de nouvelles intimités. Pourtant, la violence du conflit de l’autre côté de l’Atlantique ne cesse d’être présente, tandis que la phallocratie se plaît à imposer son emprise. Un jour, c’est le retour du mari, soldat hanté par les insoutenables images de la libération d’un camp de concentration…

Leela Corman nous avait ébloui en 2012 avec Dessous. Le graphisme de ce dernier en noir / blanc / gris tranche avec les ardentes couleurs de Victory Parade proposées par l’autrice aujourd’hui.

Avant même d’être confronté à l’insoutenable violence concentrationnaire, on est mis face à la banale brutalité. Les femmes se rendent à l’usine, tandis que les hommes contemplent le spectacle en tenant des propos avec ostentation : « - Voir toutes ces femmes aller là. Je crois pas que j’aime ça. -Allons ! C’est un vrai défilé de confiseries ! »

Lors d’une scène de bain, Rose rêve de son corps démembré. Plus loin, c’est Ruth qui est interpellée par le terme « boche », simplement parce qu’elle est allemande.

Cet univers oppressant révèle un monde fantomatique accentué par les compositions graphiques de Leela Corman. Bien souvent, les silhouettes des personnages -secondaires et principaux - emplissent le champ, renforçant à la fois les idées de solitude, mais également de menace, qui semblent dominer le récit.

Sam, témoin des horreurs concentrationnaires, semble absent dans les images qu’il traverse, envahi par des visions oniriques mettant en scène cette expérience traumatisante.

L’ouvrage se termine par cette citation clairvoyante du photographe japonais Shōmei Tōmatsu : « Moi qui avais pensé que les ruines étaient la transmutation du paysage urbain, j’appris que les ruines sont aussi à l’intérieur des gens. »

Victory parade est le récit poignant de cette population perdue, s’évertuant à exister malgré l’aberration du monde qui les entoure.





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