Hippolyte est un auteur au
parcours atypique. On l’a découvert comme habile adaptateur d’œuvres
littéraires –Le Maître de Ballantrae adapté de Robert-Louis Stevenson
reste une des plus belles bandes dessinées d’aventure qu'il soit– avant de nous
émouvoir avec la narration du destin d’un jeune orphelin Inuit plongé dans le
New-York du début du XXème siècle. Si le graphisme y était à la fois
élégant et virtuose, il savait également se charger en émotion au point de
rendre chacun des personnages mis en scène essentiel à nos vies de lecteur.
S’en suivirent le courageux et
autobiographique L’Afrique de Papa, dans lequel on découvrait la force
du travail de photographe de son auteur.
En 2013, il publie avec la
collaboration de Zabus l’important Les Ombres. De celui-ci nous avions
écrit qu’il « ne se raconte pas, il se vit. » Plus de dix
années après sa parution, l’ouvrage conserve sa puissance exceptionnelle.
Hippolyte et Zabius y contaient le parcours d’un frère et d’une sœur -dont les
visages se limitent à de schématiques masques- qui fuient le Petit Pays ravagé
par des cavaliers sanguinaires avides de supposées richesses enfouies. Rarement
un livre nous avait parlé avec autant de force de ce qu’est l'exil, du fait de
devoir s’arracher à son pays, aux siens.
Son travail d'auteur s’est depuis
doublé d’un travail de reporter, notamment en proposant des publications dans
la revue XXI ou le journal Libération.
Avec Le murmure de la mer,
Hippolyte revient sur les 3 mois qu’il a passé avec l’Association SOS
Méditerranée. Un mois à Marseille lorsque les autorités italiennes ont bloqué
le bateau, puis deux mois sur le bateau de sauvetage « Ocean
Viking ».
A l’été 2020, en pleine pandémie
de COVID, les frontières se referment et les bateaux en Méditerranée restent à
quai. Les migrants, eux, continuent leurs tentatives de traversées…tandis qu’il
n’y a « aucun bateau pour les signaler et encore moins pour les
sauver. » Lors de la sortie du confinement, Hippolyte accepte de rejoindre
la première mission de sauvetage de l’ « Océan Viking » depuis
six mois. C’est celle-ci qui nous est racontée dans Le murmure de la mer.
Nous narrant cette
« aventure » humaine et nécessaire dans tous ses détails, de
l’organisation à l’attente jusqu’au départ en mer, Hippolyte avance par petits
pas, mettant en scène des personnages qui ont conscience de l’urgence de la
situation. « Le bateau est à l’arrêt. Nous aussi. Les migrants, eux,
continuent de prendre la mer. Nous attendons tous. Nous attendons avec une
seule certitude. Il y a urgence. »
Puis l’ « Ocean
Viking » patrouille deux mois en mer au Nord de la Lybie, surveillant la
route migratoire, avec attention et crainte de ne pas apercevoir les
embarcations espérant rejoindre les côtes européennes. « De nuit, c’est
presque impossible à voir. Alors que les personnes à bord sont en train de
hurler. Parce qu’eux nous aperçoivent avec toutes nos lumières. Ils crient et
tu n’entends rien. ». C’est
durant ces temps de veilles que le récit s’enrichit des parcours des membres de
l’équipage qui, au détour d’une phrase, révèlent la raison de leur
« militantisme » ou narrent un souvenir douloureux survenu lors d’un
sauvetage précédent. Soudain, tout s’accélère, « une forme blanche
ballottée par les flots » est aperçue. Chacun se met en branle afin
d’accomplir la tâche qui lui incombe. « La théorie devient
pratique ». L’auteur entrecoupe sa narration de photographies poignantes
qui ne se contentent jamais d’illustrer le propos. Bien au contraire, elles
s’intercalent entre les dessins à l’aquarelle avec pertinence, rythme et
émotion. Comme toujours chez Hippolyte, beauté graphique et précision narrative
accompagnent avec perfection le récit. Loin de simplement ornementer, les
somptueux dessins nous amènent à regarder les actions représentées avec
sollicitude. Comme le dit Hippolyte au détour d’une planche, « On a toujours
le temps pour la beauté et la poésie »
Le murmure de la mer est
un livre bouleversant de bout en bout par le portrait qu’il dresse d’individus
qui s’efforcent de venir en aide, d’agir, tout en ayant conscience à chaque
instant que tout ceci sera inévitablement insuffisant. « C’est beaucoup…et c’est
rien. ».
L’auteur réussit la gageure de
vous révolter tout en dévoilant une humanité réconfortante révélée par cette
volonté d’agir malgré tout.
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