Le murmure de la mer – Hippolyte – éditions Les Arènes – 2024

Le murmure de la mer – Hippolyte – éditions Les Arènes – 2024

Hippolyte est un auteur au parcours atypique. On l’a découvert comme habile adaptateur d’œuvres littéraires –Le Maître de Ballantrae adapté de Robert-Louis Stevenson reste une des plus belles bandes dessinées d’aventure qu'il soit– avant de nous émouvoir avec la narration du destin d’un jeune orphelin Inuit plongé dans le New-York du début du XXème siècle. Si le graphisme y était à la fois élégant et virtuose, il savait également se charger en émotion au point de rendre chacun des personnages mis en scène essentiel à nos vies de lecteur.

S’en suivirent le courageux et autobiographique L’Afrique de Papa, dans lequel on découvrait la force du travail de photographe de son auteur.

En 2013, il publie avec la collaboration de Zabus l’important Les Ombres. De celui-ci nous avions écrit qu’il « ne se raconte pas, il se vit. » Plus de dix années après sa parution, l’ouvrage conserve sa puissance exceptionnelle. Hippolyte et Zabius y contaient le parcours d’un frère et d’une sœur -dont les visages se limitent à de schématiques masques- qui fuient le Petit Pays ravagé par des cavaliers sanguinaires avides de supposées richesses enfouies. Rarement un livre nous avait parlé avec autant de force de ce qu’est l'exil, du fait de devoir s’arracher à son pays, aux siens.

Son travail d'auteur s’est depuis doublé d’un travail de reporter, notamment en proposant des publications dans la revue XXI ou le journal Libération.

Avec Le murmure de la mer, Hippolyte revient sur les 3 mois qu’il a passé avec l’Association SOS Méditerranée. Un mois à Marseille lorsque les autorités italiennes ont bloqué le bateau, puis deux mois sur le bateau de sauvetage « Ocean Viking ».

A l’été 2020, en pleine pandémie de COVID, les frontières se referment et les bateaux en Méditerranée restent à quai. Les migrants, eux, continuent leurs tentatives de traversées…tandis qu’il n’y a « aucun bateau pour les signaler et encore moins pour les sauver. » Lors de la sortie du confinement, Hippolyte accepte de rejoindre la première mission de sauvetage de l’ « Océan  Viking » depuis six mois. C’est celle-ci qui nous est racontée dans Le murmure de la mer.

Nous narrant cette « aventure » humaine et nécessaire dans tous ses détails, de l’organisation à l’attente jusqu’au départ en mer, Hippolyte avance par petits pas, mettant en scène des personnages qui ont conscience de l’urgence de la situation. « Le bateau est à l’arrêt. Nous aussi. Les migrants, eux, continuent de prendre la mer. Nous attendons tous. Nous attendons avec une seule certitude. Il y a urgence. »

Puis l’ « Ocean Viking » patrouille deux mois en mer au Nord de la Lybie, surveillant la route migratoire, avec attention et crainte de ne pas apercevoir les embarcations espérant rejoindre les côtes européennes. « De nuit, c’est presque impossible à voir. Alors que les personnes à bord sont en train de hurler. Parce qu’eux nous aperçoivent avec toutes nos lumières. Ils crient et tu n’entends rien. ».  C’est durant ces temps de veilles que le récit s’enrichit des parcours des membres de l’équipage qui, au détour d’une phrase, révèlent la raison de leur « militantisme » ou narrent un souvenir douloureux survenu lors d’un sauvetage précédent. Soudain, tout s’accélère, « une forme blanche ballottée par les flots » est aperçue. Chacun se met en branle afin d’accomplir la tâche qui lui incombe. « La théorie devient pratique ». L’auteur entrecoupe sa narration de photographies poignantes qui ne se contentent jamais d’illustrer le propos. Bien au contraire, elles s’intercalent entre les dessins à l’aquarelle avec pertinence, rythme et émotion. Comme toujours chez Hippolyte, beauté graphique et précision narrative accompagnent avec perfection le récit. Loin de simplement ornementer, les somptueux dessins nous amènent à regarder les actions représentées avec sollicitude. Comme le dit Hippolyte au détour d’une planche, « On a toujours le temps pour la beauté et la poésie »

Le murmure de la mer est un livre bouleversant de bout en bout par le portrait qu’il dresse d’individus qui s’efforcent de venir en aide, d’agir, tout en ayant conscience à chaque instant que tout ceci sera inévitablement insuffisant.  « C’est beaucoup…et c’est rien. ».

L’auteur réussit la gageure de vous révolter tout en dévoilant une humanité réconfortante révélée par cette volonté d’agir malgré tout.





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