Antipodes – Eric Lambé et David B. – éditions Casterman - 2024

 Antipodes – Eric Lambé et David B. – éditions Casterman - 2024 

 


En 1557, près de la baie de Guanabara au Brésil, Nicolas, jeune interprète, est chargé d’établir le contact avec les Indiens Tupinambas connus pour leur pratique du cannibalisme.

C’est grâce à son talent pour le chant qu’il parvient à échapper à leur funèbre cérémonie et à s’intégrer à la vie même de la tribu.

Vivant désormais nu, le Français se découvre alors tiraillé entre les coutumes de ses nouveaux compagnons et les rappels à l’ordre de sa hiérarchie colonisatrice.

On ne cessera de le répéter mais, pour nous, David B. est un des scénaristes les plus passionnants de la bande dessinée contemporaine. Outre ses livres réalisés en solitaire, on a été marqué par ses récits mis en images par Christophe Blain, Emmanuel Guibert, Hugues Micol, Hervé Tanquerelle et aujourd’hui Eric Lambé.

Si le thème du cannibalisme était déjà au centre du tome 2 des aventures d’Hiram Lowatt & Placido « les ogres », il ressurgit aujourd’hui dans un récit de prime abord historique destiné à interroger la culture du peuple « Tupinamba » déjà évoquée par Rousseau dans le chapitre intitulé « Les Cannibales ». C’est cette tribu « guerrière » d’Amazonie, et la mythologie romanesque et philosophique qui l’accompagne, qui intéresse en premier lieu le scénariste.

Rappelons que le fil qui se plaît à lier toutes les œuvres de David B., c’est la puissance imaginaire contenue dans l’Histoire. Ce que vise « Antipodes », avant même une réflexion éthique sur les coutumes de deux sociétés opposées, c’est de nous proposer un récit générateur de mystères, d’effrois et d’émerveillements. Les livres, comme souvent, y occupent une place importante. Ici, ils deviennent des reliques porteuses de bribes de phrases ou d’images désuètes, menacés de pourrissement par l’humidité inhérente aux lieux. L’objet « livre » devient porteur de magie, tout autant que les chants de Nicolas qui paraissent envoûter et réjouir le peuple autochtone.

« Les livres sont une partie de ta magie, nous ne les laisserons pas. »

A chaque langue portugais / tupinambá correspond un encadrement de texte distinct, dans l’objectif de mettre en valeur les variétés de dialectes, tout en sacralisant par l’ornementation l’importance de la parole.

Par son graphisme et son travail de la couleur, Éric Lambé nous offre un parfait écrin à ce récit empli de romanesque. Si la graphie si particulière des corps revêt parfois de lointaines évocations de codex mésoaméricains, les occidentaux richement vêtus semblent dresser une analogie avec les personnages de Windsor Mc Cay dans son célèbre Little Nemo. Toute la dialectique entre l’Histoire et le romanesque contenue dans le récit est alors relayée par les planches réalisées par le dessinateur de Paysage après la bataille.

Prêtre fou, visage de morte devenu labyrinthe, cathédrale de lianes, « Terre sans mal »... tous ces éléments à forte valeur onirique sont magnifiés par de foisonnants décors aux couleurs entachées des brumes les plus enivrantes.

« Mais voici la nuit : la nuit aussi mérite qu’on l’écoute. » Les dessins d’Eric Lambé, parsemés de fascinants bleus profonds, méritent notre immersion.

On est subjugué par Antipodes.


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