Quelques questions à Cati Baur à propos de Vent mauvais - éditions Rue de Sèvres - 2020
On a découvert Cati Baur avec Vacance (éditions Delcourt) en 2009. Puis, nous avons suivi avec assiduité pendant sept années son adaptation particulièrement envoûtante de la série Quatre sœurs d’après Malika Ferdjoukh (éditions Delcourt puis Rue de Sèvres).
C’est avec Vent mauvais (éditions Rue de Sèvres) qu’elle nous revient cette année. Dans ce livre, elle dresse les portraits de Marjolaine, Béranger, Lison et tant d’autres avec une grâce dans l’écriture et une délicatesse dans son trait d’une invraisemblable séduction. Ces personnages accèdent ainsi à une réalité étonnante au point de faire désormais partie de notre propre existence.
Récit tout autant sombre qu’empli de bienveillance, il se meut à un rythme hypnotique proche de du mouvement des éoliennes qui lui servent de décor.
1° Vent mauvais marque votre retour à une bande dessinée dont vous êtes à l’entière initiative, après sept années passées à réaliser les quatre volumes de votre adaptation de Quatre Sœurs – d’après Malika Ferdjoukh. En quelques mots, pouvez-vous nous raconter quel a été votre parcours jusqu’à ce nouvel ouvrage ?
Vent mauvais de Cati Baur - éditions Rue de Sèvres - 2020 |
En fait, Vent Mauvais est arrivé dans ma vie entre les volumes 1
et 2 de quatre sœurs, à la faveur d’un voyage en voiture, je crois, en longeant
un champ d’éoliennes. L’histoire s’est mise en place très vite, les personnages
sont arrivés petit à petit, mais il m’a fallu patienter 8 ans, le temps de
finir la tétralogie pour pouvoir enfin m’y mettre. C’est le plus frustrant dans
mon travail: accepter le temps de maturation d’un livre car le temps de réalisation
est incompressible, même si j’ai un nouveau projet qui m’enthousiasme derrière,
je ne peux pas faire l’impasse sur ces douze, seize, voire vingt mois de
dessin. Je passe donc beaucoup de temps à rêver du prochain livre en
arrière-plan de mon travail de tâcheron.
Quatre sœurs (coffret tome 1 et 2) de Cati Baur et Malika Ferdjoukh - éditions Rue de Sèvres - 2015 |
2° Un des éléments qui semble lier Vacance (paru en 2009)
et Vent mauvais est le désir de liberté éprouvé par vos personnages. Nous
avons d’un côté Béranger, scénariste de 44 ans qui décide de quitter Paris pour
s’installer dans une maison isolée avec vue sur un champ d’éoliennes, et de
l’autre Marjolaine, responsable du bibliobus du village qui semble réticente à
toute forme d’uniformisation. A ces deux protagonistes, on pourrait également
ajouter les portraits, emplis de tendresse, des deux adolescentes. Quel était
votre « projet » en abordant ce nouvel ouvrage ?
Vacance de Cati Baur - éditions Delcourt - 2009 |
ça me fait plaisir que vous fassiez le parallèle, car j’ai depuis
le début travaillé vent mauvais comme un écho à Vacance. Je pense que
l’insatisfaction, plus que le désir de liberté, même, est le fil conducteur de
mon travail, cette recherche absolue du « mieux » qui peut vous
conduire à la perte me fascine terriblement. Mais le personnage de Marjolaine
échappe à cette quête et elle est comme une sorte de symbole de ce qu’on peut
appeler presque péjorativement « le bon sens paysan » qu’on a trop
souvent perdu de vue. Elle observe la nature, elle sait ce contre quoi il est
inutile de se battre, elle soigne et répare, elle a tout compris.
Quand aux adolescentes, je dois remercier mon éditrice Charlotte Moundlic car au départ moi j’étais focalisée sur la relation entre Béranger et Marjolaine, les filles n’étaient qu’une sorte de petit dérangement accessoire, et puis Charlotte a insisté pour que je les autorise à prendre la place qu’elles devaient prendre dans ce livre. Ce qui m’a permis d’instiller de la tendresse et de la légèreté dans ce qui était au départ plutôt une romance noire.
Si vous me rencontrez un jour dans une fête du livre ou un salon,
un vernissage, un endroit rempli de monde, ou même un apéro chez des copains,
vous pourrez constater que je suis celle qui se tait, tassée dans d’un coin
(près du buffet généralement) et qui observe. Depuis toujours je compense une
immense timidité par l’observation attentive de mes contemporains. J’enregistre
les attitudes, les tics de langage, les inflexions de la voix et j’essaie de mettre
à profit ma longue expérience de tapisserie pour restituer le plus précisément
possible ces détails que j’attrape au vol. J’aime l’idée que mes personnages
pourraient exister au-delà des pages de mes BD, j’essaie de les rendre plus
vrais que nature.
Vous savez il y a une pensée un jour qui m’a bouleversée. Je
pensais à Emma Bovary, qui est un de mes personnages de fiction préférés, et
j’ai soudain réalisé que cette femme, qui n’a jamais existé que sur le papier,
est aujourd’hui infiniment plus vivante et tangible que mon arrière-grand-mère
morte dans les années 80, donc personne aujourd’hui ne connaît plus le nom, qui
pourtant était un être de chair, de sang, qui a vécu une longue et (sans doute,
moi-même je l’ai très peu connue) riche vie, et qui a traversé le siècle.
(Je parle de mon arrière-grand-mère car c’est la première personne
qui m’est venue à l’esprit mais vous pouvez essayer avec n’importe lequel
d’entre nous: au final, ce sera toujours Madame Bovary qui gagnera.)
C’est vertigineux, je trouve.
Voilà pourquoi j’essaie de donner à mes personnages une épaisseur
qui les rendra dignes de vivre leur vie de fiction. ça paraît sûrement hyper
prétentieux de dire ça mais j’estime juste que je leur dois bien ça (après
tout, ils n’ont rien demandé).
Vent mauvais de Cati Baur - éditions Rue de Sèvres - 2020 |
4° La présence des éoliennes est un des éléments les plus
« envoutants » de votre ouvrage. Plus qu’un élément de décor ou de débat,
elles s’y révèlent motif de fascination - tout autant que d’inquiétude. Par
votre graphisme, vous parvenez à rendre tangible la beauté du vent qui les
anime, du système de balisage lumineux nocturne qui les signale. Et en même
temps, elles sont accusées d’influences néfastes sur les habitants. Quant à
Marjolaine, son année est ponctuée par la découverte des oiseaux meurtris par
le mouvement incessant des pales. Qu’est-ce qui vous a donné le désir de vous
confronter à ce sujet si actuel des parcs éoliens ?
J’ai cette fascination ancienne moi aussi pour les éoliennes (
Meme si je ne suis pas sûre en revanche d’avoir envie d’habiter à proximité) je
trouve ça très, mais alors vraiment très très beau. Très cinégénique, aussi, ce
mouvement, cette lenteur et ce rythme. J’avais envie de retranscrire ça
graphiquement, mais je dois dire que même si j’ai fait pas mal de recherches
techniques et sociologiques, je n’ai jamais considéré les éoliennes comme un
sujet, c’est vraiment un élément du décor-ou presque un personnage, d’ailleurs-
avec ses furies et ses accalmies, sa tendresse et sa familiarité.
Le vrai sujet de cette BD pour moi, autour duquel je tourne pas
mal, c’est la difficulté de créer.
D’aillleurs Béranger est comme ces éoliennes qui le fascinent: il
brasse de l’air, il tourne en rond, il s’épuise et ça ne le mène nulle part. Il
y a de ça dans le processus créatif: il faut parfois accepter de ne pas foncer
tête baissée, ne pas s’acharner et attendre que le récit se construise tout
seul, à votre insu, dans une zone inconnue de votre cerveau.
Je ne dis pas que ce n’est pas du boulot, au contraire: il faut
ensuite l’attraper et le mettre en forme et ça c’est le plus difficile, mais la
pression d’être attendu au tournant, de devoir plaire à son public, c’est quand
même une sacrée source de stress. Autant que les éoliennes: un truc qui revient
tout le temps vous chatouiller les nerfs, comme un bourdonnement dans votre
paysage mental.
Vent mauvais de Cati Baur - éditions Rue de Sèvres - 2020 |
5° Pouvez-vous nous citer des auteurs/autrices ou des ouvrages qui
occupent une place particulière dans votre vie et que vous ne voudriez
surtout pas que nous manquions dans notre vie de lecteur ?
Posy simmonds, Alison Bechdel, Rutu Modan sont des autrices de
bande dessinée que je place sur mon podium, elles ont la particularité toutes
les trois d’écrire et de dessiner des livres denses qu’on peut relire sans fin,
et si j’admire immensément leur trait, je suis surtout épatée à chaque fois par
leur manière de mettre en scène, sans effet, d’une limpidité incroyable.
Mais je lis beaucoup plus de romans que de bande dessinée, en
fait, principalement des femmes, encore une fois, souvent des histoires de
minorités, de marginaux, de laissés-pour-compte.
Joyce Carol Oates, Laura kasishke, Barbara Kingsolver, Joyce
Maynard, Louise Erdrich: les américaines ont une écriture qui a le don de
m’emporter, et c’est tout ce que j’attends d’un livre, c’est le principal. J’ai
besoin d’être chahutée, embarquée, bousculée. J’aime refermer un livre en
soufflant comme pour évacuer un trop-plein d’émotions. Je viens justement de
lire « Betty », de Tiffany mc Daniels publié cet automne par
Gallmeister et j’ai pris une bonne grosse claque.
Betty de Tiffany McDaniel - éditions Gallmeister 2020 |
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