Les deux vies de Pénélope - Judith Vanistendael –
éditions Lombard - 2019
De Judith Vanistendael, on suit
les livres avec une rare émotion depuis l’inaugural La jeune fille et le
nègre (éditions Actes Sud / L'an 2) en 2008. David,
les femmes et la mort (éditions Lombard - 2012) est une des bandes dessinées les plus importantes
que l’on a lu ces dernières années. Puis, il y a eu le beau Salto (éditions Lombard - 2016),
dont elle n’était pas scénariste… qui, tout en nous fascinant par ses trésors
narratifs, nous avait néanmoins laissé un peu extérieur à son récit.
Les deux vies de Pénélope
marque -d’un point de vue technique- un retour à l’aquarelle. David, les femmes et la mort avait démontré la liberté inouïe dont l’auteure
savait faire preuve dans l'utilisation de ce médium.
A l’inverse du personnage éponyme
de L’Odyssée d’Homère, Pénélope n’est pas celle qui attend le retour de
son époux parti au combat, elle est bien au contraire celle qui part, en tant
que chirurgienne, afin d’apporter ses compétences dans une Syrie ravagée par la
guerre. Dans cette histoire, celui qui attend, ou en tout cas qui s’occupe de
maintenir la famille à flot, c’est le mari.
« Les dernières années,
plus personne ne m’attend. Ils s’y sont habitués. Je vais et je viens. »
C’est l’un de ces retours au
foyer que nous raconte Les deux vies de Pénélope.
Judith Vanistendael, avec une
sincérité jamais feinte, nous dresse le portrait de cette femme pour qui se retrouver
chez soi « devient de plus en plus difficile ». Tiraillée entre le désir de ses proches de la
faire renoncer à ses départs, d’en faire une mère plus « acceptable »,
et son attache viscérale à ceux qui continuent à vivre le conflit, Pénélope ne
parvient plus à concilier ses deux vies.
« Si je n’avais pas eu d’enfants… j’y
serais allé » … ce type de phrases, dites sans volonté de blesser, accompagnent
le retour de celle qui part malgré la présence de sa fille. Egoïsme de cette femme qui accomplit ce qu’elle croit devoir être ou extrême don de soi. Une évidence : Pénélope bouscule les
lignes de son entourage.
Ce propos, aux problématiques on
ne peut plus contemporaines, est mis en scène avec maestria par Judith Vanistaendel.
Cette dernière ne cherche jamais à proposer la « belle image ». Son
trait, pour autant éblouissant, se déverse en un flot continu. Elle semble s’absoudre
à chaque instant des « règles » de mise en page d’une planche. Ce qui
guide son découpage, c’est sa narration, l’énergie ou l’émotion qui en découle.
De même, ses aquarelles parviennent à prolonger l’origine du geste qui les a produites.
Les tâches, parfois à peine reprises par un trait, y conservent leur pouvoir de
suggestion, de transformation. Pour autant, ce travail d’aquarelliste s’évertue
à nourrir son récit, à faire vibrer ses personnages, à en souligner les altérités,
à irriguer de vie l’ensemble de son ouvrage.
L’auteure propose une fiction,
mais qui accède à un statut de réalité inédit, tant elle semble ressentir à
travers son geste de peintre l’histoire qu’elle met en scène. Si bien qu’à la
lecture de ces mots : « J’ai une fille. Dans une semaine elle
aura 18 ans. Je ne serai pas là. Cela fait quatre ans que je ne l’ai plus vue. Cette
histoire est pour elle. », une proximité bouleversante s’est immiscée
entre Pénélope et Judith Vanistendael.
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