Une maternité rouge – Christian Lax - éditions Futuropolis/Louvre – 2019


Une maternité rouge – Christian Lax - éditions Futuropolis/Louvre – 2019
Quatre années après le beau et très contemporain Un certain Cervantès, Christian Lax nous revient en intégrant la prestigieuse coédition Le Louvre / Futuropolis. Cette dernière nous a offert de beaux moments de lectures, de l’inaugural Période Glaciaire de Nicolas De Crécy, en passant par L’art du chevalement de Loo Hui Phang et Philippe Dupuy ou Le chien qui louche d’Etienne Davodeau. Mais force est d’admettre que la rencontre entre de grands auteurs et ce lieu patrimonial essentiel a parfois aussi engendré des livres plus anecdotiques, des rendez-vous que l’on estimait –à regret- manqués.
Christian Lax est un auteur dont le travail se caractérise par une alliance remarquable entre humanité de ses personnages, souffle romanesque, conscience sociale mais aussi un graphisme s’affinant année après année, mêlant classicisme académique et expérimentation picturale.
De 2005 à 2012, l’auteur s’était plu à raconter des histoires ayant pour dénominateur commun l’attrait pour le cyclisme : du Tour de France en passant par le Paris-Roubais jusqu’au Vel d’Hiv’. Ce qui transparaissait de ces ouvrages, n’était pas un goût pour la performance sportive, la seule lutte contre un chronomètre, mais la souffrance et le courage d’hommes et de femmes unis par un même désir de s’émanciper et d’accéder à une autre existence. Ces livres furent par la suite regroupés sous le titre Echappées belles, entérinant ainsi le lien qui les unissait.
Remontant par le biais de cette fresque l’histoire de France de 1910 à la Seconde guerre mondiale, Christian Lax se permettait en 2015 de revenir à notre époque contemporaine, à travers un récit mêlant goût pour la littérature –déjà affirmé dans sa série Le Choucas- et intérêt pour l’actualité la plus brûlante. Ce livre, ce fut Un certain Cervantès. L’auteur y évoquait avec force et générosité la lutte contre les talibans en Afghanistan, le traumatisme physique et mental post-guerre, une société américaine repliée sur son patriotisme, ainsi que l’éradication de certains ouvrages au sein des bibliothèques d’auteurs majeurs pour cause de puritanisme, mais aussi l’importance de cette même littérature dans le sens qu’elle donne à nos vies.
Si, depuis Des Maux pour le dire en 1987, Lax nous offre des ouvrages traitant de notre monde contemporain, il n’accompagne pas la vague de bande-dessinée reportage. Sa croyance en la fiction reste intacte. Pour lui, le recours à la fiction, à l’existence de personnages, est le meilleur vecteur pour nous raconter notre société.
En intégrant la collection Futuropolis / Louvre, Christian Lax ne propose pas un livre de commande. Il semble plutôt écrire un nouveau chapitre à un cycle démarré avec Un certain Cervantès.
Alou, jeune Malien, est violenté par des djihadistes sous prétexte que son bâton, utilisé pour récupérer le miel, est orné d’une figurine. Pour eux, « sculpter c’est impie, tout comme posséder ou vénérer la moindre sculpture ». Par représailles, ils font exploser un baobab sacré, mettant à jour une statuette représentant une femme enceinte, cachée en son sein. Celle-ci est recueillie par Alou, qui s’empresse de la présenter à un sage du pays Dogon. Celui-ci reconnaît en elle une Maternité rouge, réalisée par le maître de Tintam au 16ème siècle. Il ordonne alors au jeune homme de transporter la statuette jusqu’au Louvre, afin de la protéger de la barbarie.

Ce simple énoncé, point de départ du livre, suffit à établir en quoi l’œuvre proposée par Christian Lax se démarque des autres titres nés de la collaboration avec le Louvre. L’auteur n’aborde pas un énième voyage au sein des collections du Louvre. Il n’invente pas non plus un dialogue avec un peintre ou des œuvres maintes fois commentées. Tout d’abord, il met en lumière cet art que l’on nomme Africain ou Primitif, en oubliant souvent d’en nommer les origines géographiques précises, les différents styles ou époques. Evoquer le « Maître de Tintam » est déjà un engagement, un premier écart. « Quand je pense à ces régiments de visiteurs qui défilent devant « La Victoire de Samothrace » ou « La Vénus de Milo », et je ne parle pas de la « Joconde » ! Sans rien savoir de ta présence ici, à quelques centaines de mètres. » disserte en solitaire Claude, personnage clé de cette histoire.
Mais « le pas de côté » opéré dans le livre ne se limite pas à une remise en cause d’un art ethno centré. Par la description de la terrible trajectoire d’Alou est évoqué le sort des migrants, fuyant une barbarie qui les oblige à accepter tous les risques. Cette barbarie qui malheureusement ne cessera de les accompagner : de la plus froide et organisée, à travers celle des passeurs, à celle de la traversée de la Méditerranée, où les hommes anciennement victimes deviennent les vecteurs de la pire bestialité, mais aussi la violence banale dont ils sont victimes à leur arrivée en Occident.

Si Alou parvient à faire parvenir La maternité rouge aux équipes du Louvre, il sait que celle-ci sera protégée, mise en sécurité, soignée… mais qu’en est-il du destin de ces réfugiés venus demander l’assistance en France ? Christian Lax ne met pas en doute la nécessité de sauver ces œuvres d’art. Le pays, jadis colonisateur et pilleur, devient peut-être la seule promesse de perpétuer l’art mais aussi les traditions et l’histoire d’un pays. Pour autant, le regard qu’il porte sur le sort des réfugiés est empreint d’amertume et d’émotion. N’est-on pas plus prompt à sauvegarder des œuvres patrimoniales qu’à accueillir avec humanité des individus contraints à l’exil ?
Une maternité rouge, est une belle réflexion sur notre rapport à la sauvegarde du patrimoine, tout autant qu’une bouleversante évocation du parcours de ces hommes poussés à l’exil.

Véritable tour de force graphique et narratif, l’ouvrage semble trouver l’équilibre parfait entre le classicisme du dessin de Lax et une volonté de sans cesse renouveler son vocabulaire pictural. Les paysages semblent désolés, irradiés de lumière. Tandis que les corps semblent parfois meurtris, noueux, imbriqués dans des enchevêtrements de lignes. Pour autant, le trait ne se départit jamais de son élégance. Sans doute jamais l’auteur de L’aigle sans orteils ne s’était autorisé à faire autant confiance en son dessin, à le laisser tant respirer indépendamment du texte. Les cases muettes n’y sont jamais illustratives, mais constamment gorgées de ce tourment qui agite les êtres qui s’y animent.

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