Quelques questions à Edith concernant Le jardin de minuit aux éditions Soleil / Noctambule – 2015.
On
a découvert le travail d'Edith avec la très belle série Basil et Victoria. On
a suivi d'autres titres tels le Trio Bonaventure, l'adaptation
des Hauts de Hurlevent ou le récent La chambre de
Lautréamont. Chacune de ces propositions se caractérise par un
même désir de raconter des histoires, par une recherche incessante
quant aux possibilités offertes par la couleur, par une vivacité du
trait et une captation originale du sentiment d'enfance. Avec Le
jardin de Minuit, Edith adapte un roman important de la
littérature jeunesse anglo-saxone, Tom et le jardin de minuit,
paru en 1958. C'est peut-être parce que ce Jardin de minuit est la
première réalisation d'Edith sans scénariste qu'une place si
grande est laissée à la contemplation du paysage, à la lumière
qui inonde l'espace, à des images qui n'ont d'autre fonction que
celle d'être là, sans contrainte de texte. On est séduit par le
sentiment, entre mélancolie et plénitude, que provoque en nous cet
ouvrage. Si le livre est raconté du point de vue de l'enfant, et
évoque avec sensibilité l'enfance, il s'adresse aussi -surtout ?-
aux adultes. C'est pour évoquer ce bel ouvrage, jalon dans l’œuvre
de l'auteur, que l'envie nous est venue de vous proposer un entretien
avec Edith. Celle-ci a accepté avec gentillesse et enthousiasme de
répondre à nos questions, qu'elle en soit ici remerciée. On la remercie également de nous avoir confié des illustrations inédites
pour accompagner cet entretien.
1° Dans votre parcours d'auteure de bandes dessinées, vous avez travaillé de façon récurrente avec deux scénaristes, Yann (Basil et Victoria, Les Hauts de Hurlevent) et Corcal (Le trio Bonaventure, Eugène de Tourcoing-Startrec, La chambre de Lautréamont). Le jardin de minuit, même s'il est une adaptation d'un roman existant, me semble être votre premier ouvrage entièrement en solitaire. Pouvez-vous nous raconter comment est née l'envie de cet ouvrage ?
Suite à une proposition de la directrice de la collection Noctambule, Clotilde Vu, de travailler sur une adaptation, j'ai choisi le roman jeunesse de Philippa Pearce, Tom' s Midnight garden, que j'avais découvert adulte et qui m'avait profondément marquée. Je l'avais relu plusieurs fois depuis, avec toujours le même plaisir. Du coup l'adaptation en a été facilitée car j'avais une idée assez précise de ce que je voulais montrer de l'histoire. Et j'ai découvert le plaisir de travailler seule la narration et le découpage. Du coup, je me suis sentie très libre sur le rythme et l'écriture de l'album .
2° Vous avez fait partie de l'atelier Asylum dans lequel on retrouvait également Riff Reb's, Cromwell ou Qwak. Au début des années 90, vous publiez avec Yann les premiers tomes de la série Basil et Victoria (Alph-Art du meilleur album à Angoulême pour le second opus en 1992), tandis qu'en même temps Riff Reb's nous offrait l'inoubliable Myrtil Fauvette, Cromwell Minettos Desperados et Qwak Le soleil des loups. Pouvez-vous nous parler de cet «atelier Asylum», et nous dire s'il regroupait des caractéristiques et des désirs communs entre les différents auteurs qui le composaient ?
Quand
je suis arrivée à l'atelier Asylum, Riff, Cromwell et Qwak
étaient sur des projets personnels ou de commande. Pour ma part, je
squattais une place dans l'atelier mais n'avais pas encore de projet
d'album. J'ai donc fait mes débuts en BD là-bas et ai beaucoup
appris de ces trois dessinateurs, pas seulement en dessin et en
narration, mais aussi en culture Bd et illustrations, culture que
j'avais abordé tardivement avec toutes les lacunes que cela entraînait. Le principal désir commun était sans doute de
bousculer les codes, de créer dans l'énergie. C'était un état
d'esprit en phase avec l'époque, avec nos goûts musicaux et
artistiques en général... Après, chacun avait ses propres
références qui, si elles n'étaient pas très éloignées, ont
fait que la personnalité de chacun est bien présente dans les
albums .
3° Une des caractéristiques de votre travail est de nous offrir des livres dont la frontière entre bande dessinée dite adulte et jeunesse est poreuse. Ainsi, Basil et Victoria, le Trio Bonaventure ou Les Hauts de Hurlevent sont de magnifiques ouvrages sur le thème de l'enfance, mais ne se cantonnent pas à ce public. Avec Le Jardin de minuit, aviez-vous l'intention de réaliser un album «jeunesse», «adulte», ou cette question ne rentre-t-elle pas en compte lors de la réalisation ? En quoi ce thème de l'enfance si présent dans la plupart de vos livres est-il source d'inspiration et que vous permet-il ?
J'ai adapté Tom's
Midnight garden
en pensant d'abord à un public adulte. Le thème du souvenir des
images d'enfance ne semble évidemment perceptibles qu'avec le recul. Mais j'espérais aussi qu'une lecture par des plus jeunes lecteurs
soit possible. Et de fait, il semblerait, à entendre les retours
sur cet album, que ce soit réellement un album tout public et je
suis fière d'avoir réussi ça. Pour cet album, comme pour la
série Basil
et Victoria, il y a un malentendu possible au départ, du fait de réaliser des
albums pour ado/adultes avec des personnages d'enfants. Mais je n'ai pas vraiment choisi. Je dessine mieux les enfants que les adultes, je me sens plus à l'aise avec les proportions, et pour les faire
bouger ....
4° Depuis vos premiers albums, votre utilisation de la couleur est extrêmement personnelle et séduisante. Se replonger dans La chambre de Lautréamont (2012) est un bon exemple des audaces dont vous êtes capable en ce domaine. Avec Le Jardin de minuit, on est à nouveau séduit par les contrastes des constants allers-retours entre scènes d'intérieur et d'extérieur, les uns froids et lisses, les autres gorgés de lumière, de variété. On imagine difficilement un de vos ouvrages colorisé par un autre que vous. Quel rôle lui prêtez-vous ? Pouvez-vous nous parler des techniques que vous employez à cet effet ?
Effectivement, je ne peux pas penser le dessin sans la couleur. Pour être plus
précise, je ne peux pas penser le dessin sans la lumière. La
couleur vient juste après. Et donc, sauf pour un challenge, une
expérience (ça pourrait être marrant de voir ce que ça donnerait), je ne me vois pas confier la couleur à quelqu'un d'autre .
Ma
technique a beaucoup évolué. Dans les premiers albums de la
série Basil
et Victoria, j'ai travaillé en couleurs directes sur des papiers couleur.
Puis je suis passée aux couleurs directes (en mode bricolo, encre
acryliques, crayons, gouaches...) sur papier blanc. Et sur les
deux derniers albums, La
Chambre de Lautréamont
et Le
Jardin de Minuit, j'ai "encré"(bic ou roller) sur papier et posé la
lumière avec un lavis couleur, ensuite j'ai scanné, monté les
planches si nécessaire et la couleur est réalisée sur ordinateur.
5° Votre travail d'auteure de bandes dessinées est accompagné de la publication d'albums jeunesse réalisés majoritairement en collaboration avec Rascal (voir le magnifique et récent Ogre vole), mais également d'illustrations de romans. On découvre également dans Anita Bomba comics (uniquement sur commande sur le site : www.akileos.com) de savoureux strips que vous mettez en scène sur des scénarios de Catmalou. Pouvez-vous nous parler de vos différents projets ou envies en cours dans l'ensemble des domaines dans lesquels vous exercez ?
J'aime
bien alterner, quand cela est possible, la réalisation d'un album
BD et celle d'un album jeunesse. Pouvoir passer de la bande
dessinée à l'illustration est un vrai plaisir. Je profite des
projets d'albums jeunesse pour expérimenter graphiquement, ce qui
est plus difficile en BD. Pour le moment je travaille sur un album
jeunesse avec Rascal, L'œuf
du loup
. Parallèlement à ça, j'ai effectivement un projet de strips,
Les brèves de Mimosa, avec Catmalou, la scénariste du Dernier
de Mohicans
de Cromwell. Pour l'instant, je me constitue une provisions de
strips et enclencherait réellement le projet quand j'en aurais
quelques dizaines dans les cartons. Quant aux projets BD c'est
encore assez flou, même si je ne dirais pas non à un nouveau
projet d'adaptation. Mais je n'ai, pour l'instant, pas encore
trouvé un livre aussi inspirant que Tom
et le Jardin de Minuit. Je cherche ...
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