Quelques questions à Nicoby, concernant le très beau et instructif La révolution Pilote, 1968 – 1972.
Quelques questions à Nicoby, concernant le très beau et instructif La révolution Pilote, 1968 – 1972.
Nicoby
fait partie de ces auteurs dont on admire le travail et qui
parviennent, album après album, à inventer une intimité avec leurs
lecteurs. Que ce soit dans dans ses oeuvres, autobiographiques ou de
fiction, dans son style, humoristique ou réaliste, on retrouve dans
ses propositions une même humilité et un désir de cerner au plus
près, par le détail, ce qui peut rendre attachant un être humain.
La
parution du beau La révolution Pilote, en collaboration avec
Eric Aeschimann, nous a donné envie de poser quelques questions à cet
auteur dont la lecture des albums ne pourra que vous enthousiasmer.
Nous tenons à remercier Nicoby d'avoir répondu à notre
sollicitation avec implication et gentillesse.
1 – Avant de parler de ce nouvel album, une des caractéristiques de certaines de vos dernières propositions est de rendre hommage à vos aînés de la bande dessinée (l'équipe d'Hara Kiri, Fournier et maintenant Pilote avec Gotlib, Fred, Druillet, Bretécher, Mandryka, Giraud). On sent dans ces différents opus une véritable «admiration sincère» de votre part pour ces grands auteurs. Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes vous-même devenu auteur de bande dessinée ?
C'est
toujours un peu la même histoire, tous les enfants dessinent, mais
il y en a qui au lieu d'aller jouer au foot comme leurs congénères,
continuent à dessiner. L'apprentissage du dessin prend vraiment des
années. Le truc qui m'a été profitable, c'est d'avoir été
rapidement identifié comme un bon dessinateur. Je pense que ce
n'était pas vrai, mais ce statut m'a permis d'avancer et d'y croire.
Quand je revois aujourd’hui des travaux même assez récents,
disons de quand j'ai commencé à publier, je les trouve très
mauvais. Après, de fil en aiguille, on étend son réseau. En tant
que Rennais, j'ai pu côtoyer plein d'aspirants dessinateurs, faire
des fanzines, progresser à mon rythme. Du coup, c'est assez
naturellement que j'ai publié mes premiers travaux « pro »
dans le Journal de Mickey. C'était des petites choses, des strips,
des jeux, quelques planches, mais j'aimais beaucoup ça. Ensuite il y
a eu les Zélus chez Vents d'ouest, une série de gags très
classiques, puis la Voix et Pattes de velours et enfin
Chronique Layette qui marque l'amorce de mes travaux autobiographiques
et que j'ai tendance à considérer comme le premier vrai livre. Mais
depuis très jeune, je savais que je serai auteur de bande dessinée,
c'était une sorte d'évidence, si bien que j'ai fait mon éducation
à la bibliothèque en lisant tout un tas de vieux trucs, tout ce que
publiaient les éditions Horay (un peu seules sur ce créneau à
l'époque), c'est aussi ce qui m'amène aujourd'hui à faire ces
livres sur la bande dessinée, ce n'est que la continuité de cette
démarche.
2 – Cette thématique de «confrontation à l'histoire de la bande dessinée» par son propre médium possède peu d'équivalents. D'autant plus que vos ouvrages mêlent brillamment hommage, reportage (ce qui vous doit une prépublication dans La Revue dessinée n°6) et autobiographie. Pourtant, malgré cette implication ressentie comme si personnelle, chacun des trois albums de cette thématique est réalisé en duo avec un scénariste (Joub pour les deux premiers, Eric Aeschimann pour celui-ci). Comment se déroule la collaboration avec l'autre auteur ?
Les
collaborations sont toujours différentes. Toutes se sont bien
passées à ce jour, bien que pas toujours de la même manière. Avec
Joub, c'est assez particulier, on se connaît très bien, on a
partagé un atelier ensemble pendant plusieurs années, on est aussi
investis sur Quai des Bulles, le festival de St Malo et surtout, on a
à peu près la même vision de la BD, ce qu'on y aime et ce qu'on en
attend. Donc travailler ensemble s'est fait naturellement. Notre
répartition du travail est simple, on rencontre ensemble nos
protagonistes, Joub parle beaucoup et mène les entretiens, ensuite
il établit une « colonne vertébrale » du récit puis
ensemble on scénarise cette colonne en dialoguant chaque scène et
en les répartissant en planches/cases, enfin je dessine et parfois je
colorie, parfois c'est Joub qui s'en charge (comme dans le Manuel
de la Jungle qui sort bientôt). C'est Daniel Fuchs qui a été
le point de départ de ces albums (ce qui nous ramène encore à Quai
des Bulles dont il est membre), sachant qu'il avait bossé à Hara
Kiri, j'ai eu à cœur de le faire parler. Joub ne connaissait pas
bien cette revue, il a vite été contaminé. Fort de cet opus,
Dupuis nous a demandé de plancher sur un biopic de Fournier. Pour
Dargaud, c'est un peu différent, ils avaient déjà le scénariste
et ne cherchaient qu'un dessinateur, Joub n'y avait donc pas de
place. Eric avait lui déjà tout découpé en scénario, certaines
choses ont évoluées quand il a fallu les dessiner, mais
globalement, on s'en est tenu au découpage initial. Quoi qu'il en
soit, les divergences n'ont jamais donné lieu à des conflits,
plutôt à des discussions.
3 – Le postulat de votre album réside dans le fait qu'entre 1968 et 1974, le journal Pilote a inventé «la BD moderne». Tout démarre en 1968 lorsque René Goscinny - rédacteur en chef scénariste de Pilote - est convoqué par des membres de l'équipe qui exprimeront leur mécontentement dans ce que Charlier nommera un «tribunal du peuple»*. Ce dernier événement, fil rouge de votre album, semble avoir marqué chacun des intervenants. Pouvez-vous nous raconter quelles étaient vos intentions en vous intéressant à cette période 1968 /1974 du journal Pilote ?
Mon
premier intérêt était d'avoir l'opportunité de partir à la
rencontre de ces géants. Personne ne peut refuser une telle
proposition... J'ai passé 1 an à me gaver de madeleine de Proust.
Ensuite, je connaissais déjà cette histoire, donc je n'allais pas
de surprise en surprise, ceci dit, j'ai découvert quelques trucs que
j'ignorais. Mais cette histoire, même si elle était assez connue,
n'a jamais été traitée dans le détail. On ne savait pas trop
« qui en était, qui n'en était pas ». Elle avait aussi
l'avantage d'être suffisamment emblématique pour réunir tous les
personnages : chacun avait son avis sur la question. Enfin, elle
est prétexte à évoquer René Goscinny, qui est à la fois le
grand absent du livre et en même temps omniprésent. Aussi, j'ai
bien aimé travailler avec Eric qui vient d'un univers très éloigné
du mien et de la BD, c'est toujours très enrichissant. Il aborde la
thématique comme un sociologue, avec beaucoup de sérieux et de
références, là où j'ai tendance à surtout m'appuyer sur mon
instinct.
4 – Cette histoire du journal Pilote a déjà été abordée par nombre d'ouvrages, et amène certains de vos témoins à l'évoquer parfois avec une forme de lassitude (Bretécher qui dit «Encore?! C'est une histoire ancienne tout ça…» ou pour Druillet «Encore l'histoire de Pilote…?»). Pourtant, la lecture de votre album nous fait découvrir ces auteurs sous un jour totalement inédit et justifie amplement le fait de traiter le sujet sous forme de bande dessinée. Le reportage sur un fait «historique» se double d'une évocation poignante des auteurs concernés. On n'a jamais vu Bretécher aussi séduisante ou Fred passer en un instant de la colère à l'émerveillement. Quelle est votre méthode de travail pour rendre par l'image la vie de vos interlocuteurs ? Ce travail d'observation se double d'un recours au fictif (les yeux de Druillet, Fred et son petit cirque…), avec quelles intentions ?
A
la base, en plus des entretiens, il y a des photos, quelques vidéos
et le texte des entretiens en question. Instinctivement, on tâtonne
à trouver la bonne musique pour faire vivre les personnages. Je ne
cherche pas la ressemblance physique de ces auteurs, je cherche
simplement à les reconnaître, ce qui n'est pas la même chose...
Globalement, nos personnages sont fidèles à leur modèle, Fred
était colérique, Bretécher désabusée, etc. Il y a un peu
d'extrapolation, c'est vrai, mais uniquement dans le but de mettre en
scène des propos qui nous semblaient correspondre à la « vérité
des personnages », Druillet par exemple, véhicule cette magie
un peu mystique. Ces yeux rouges lui ressemblent, même s'il n'a pas
les yeux rouges ! C'est une vertu de la BD, je crois qu'il y a
beaucoup de choses à faire avec le reportage dessiné, justement
parce que c'est du dessin. La vidéo laisse toujours planer le doute
de la récupération de la vérité au profit du mensonge, tandis que
le dessin ne prétend pas être la réalité. En définitive, je
crois qu'un reportage dessiné avec ce genre de liberté (celles
qu'on a pu prendre dans l'affaire Pilote avec les yeux de
Druillet, par exemple) raconte autant la vérité qu'une vidéo, mais
plus honnêtement. J'ai travaillé il y a peu sur un reportage avec
Jean Marc Manhack sur l'affaire des écoutes libyennes de l'internet.
Pour mettre en scène une équipe pas très fine, on a dessiné les
Pieds Nickelés. Ce que j'aime dans cette idée, c'est que ça sert
notre propos et que ça justifie le fait de réaliser cette enquête
en bande dessinée plutôt que sur un autre support.
5 – On peut lire des livres signés de votre nom depuis 2001. Au sein de cette œuvre allant de l'autobiographie (Poète à Djibouti…) à la pure fiction (Ouessantines…), votre style alterne entre réalisme et humour. Pouvez-vous nous parler des prochains albums de Nicoby que nous aurons la chance de lire?
L'année
en cours s'annonce très riche pour moi. J'ai la chance de beaucoup
travailler et d'être sollicité pour des sujets qui m'intéressent.
Depuis plusieurs années, je fais des livres et des histoires qui
sont une sorte de journal intime (pas très intime, donc). Chronique
Layette était la première pierre de ce pan de ma maison. Même
s'il n'y a rien en vue dans cette veine, il va de soi qu'elle n'est
pas éteinte. Fin mars 2015 sortira Belle Île en père, une
sorte de suite thématique à Ouessantines toujours avec
Patrick Weber. En avril le Manuel de la Jungle avec Joub et
Olivier Copin qui raconte une virée en forêt tropicale qui ne se
passe pas comme prévu, enfin, en septembre la version complète de
notre enquête Grandes oreilles et bras cassés sur les
écoutes libyennes chez Futuropolis ainsi qu'Une vie d'amour,
un petit livre sensuel et atypique dont on reparlera peut être.
Bref, une grosse actualité dans des genres très différents les uns
des autres, parce que j'aime aussi lire des choses très différentes.
* in Goscinny et moi /Témoignages - José-Louis Bocquet – Flammarion -2007.
* in Goscinny et moi /Témoignages - José-Louis Bocquet – Flammarion -2007.
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