Panthère
– Brecht Evens – Actes Sud BD – 2014.
On
a découvert le travail de Brecht Evens en 2010 avec Les noceurs,
récompensé du prix de l'Audace au festival d'Angoulême en 2011.
Prix énigmatique, tant ses contours semblent flous, mais qui, dans
le cas de cet album, avait la pertinence d'affirmer la singularité
et la cohérence de l'avènement d'un nouvel auteur.
Les
amateurs de bandes dessinées, curieux et à la recherche des
possibilités de ce médium, ne furent pas surpris de découvrir
Brecht Evens dans la collection Actes Sud BD, dirigée par Michel
Parfenov et Thomas Gabison. Depuis 2005, on leur doit nombre
des propositions les plus
originales et motivantes : de Notes
pour une histoire de guerre
de Gipi, en passant par
l'essentiel Les larmes
d'Ezéchiel de
Matthias Lehmann, aux plus
récents Pelote dans la
fumée de Miroslav
Sekulic-Struja ou l'immense Ulysse
/ Les chants du retour
de Jean Harambat. Autant
d'albums qui ont la vertu de nous ouvrir vers une bande dessinée
internationale, qui s'efforcent de nous proposer sans cesse des
formes inédites, tout en
étant traversés par un désir commun de nous raconter une histoire.
Au
début de Panthère,
la jeune Christine tente de nourrir Patchouli, son chat au corps
osseux et ténu. «Maintenant
je dois partir à l'école. Papa va t'emmener chez le vétérinaire
et quand tu reviendras, tu seras en pleine forme».
Mais à son
retour, l'animal n'est plus là. Son père ne trouve pas les mots, ne
sait comment lui expliquer cette absence. Christine court alors se
réfugier dans sa chambre à l'étage.
Prostrée
sur son lit, un curieux «TOC
TOC TOC» issu de la
commode vient rompre le silence. Surgissant
d'un tiroir, Octave Abracadolphus Pantherius, dit Panthère, fait son
apparition sur la scène : «Est-ce
toi la petite fille que j'ai entendu pleurer?».
Si
les deux précédents albums de Brecht Evens nous offraient un
éventail de personnages et de décors luxuriants, la majorité de
l'action de Panthère va se dérouler dans cet espace clos,
délimité par la chambre et dont les contours vont s'inventer au fil
de la discussion entre les deux personnages. Tour à tour séduisant
ou inquiétant, Panthère ne cesse de changer d'apparence. D'une
plasticité étonnante, il semble avoir la capacité de se
métamorphoser en fonction de son propos ou des attentes de
Christine. Ainsi, il devient le temps d'une case un personnage aux
allures «disneyennes» pour se révéler l'instant suivant d'une
sauvagerie terrifiante, pouvant lancer un «ça sent la petite
fille ici», évoquant Charles Perrault, signe d'une
ambivalence quant à ses intentions.
L'anxiété
est là, mais le drame se joue lui hors-champ. Lorsque Bonzo, la
peluche/doudou privilégiée de la petite fille, disparaît après
avoir écrit sur le mur «méfie toi de pant...», le seul
indice quant à sa triste destinée sera un simple «Il y a des
touffes de peluche sur ta langue» adressé à l'ami Panthère.
L'extraordinaire
planche où le père ouvre la porte de la chambre, créant à la fois
l'effacement de l'animal de son champ visuel et révélant dans un
même mouvement à quel point ce lieu est habité dans ses
obscurités, est emblématique de la volonté de Brecht Evens de nous
offrir un monde fantastique dont la réalité est sans cesse mise en
débat.
D'une
beauté visuelle inouïe, Panthère est un album à l'image de
la créature qu'il met en scène : séduisant et dérangeant.
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