La
lune est blanche – François et Emmanuel Lepage – éditions
Futuropolis – 2014.
Depuis
de nombreuses années, on suit le travail d'Emmanuel Lepage. De la
belle série Névé réalisée avec Dieter, à La terre
sans mal avec Anne Sibran, en passant par l'inoubliable Muchacho,
chacune de ses propositions a eu comme effet de nous faire partager
son amour pour les paysages et les rencontres qui composent ces
différents voyages.
En
2003, l'auteur inaugurait une série de carnets de voyage avec
Fragments d'un voyage (Casterman), puis le somptueux Les
voyages d'Anna (Daniel Maghen, 2005), suivi du bouleversant Les
fleurs de Tchnernobyl (La boîte à bulles, 2008). En 2011, dans
Voyage aux îles de la désolation, Emmanuel Lepage
parvient à mêler la spontanéité d'un carnet de croquis avec une
narration documentée, construite, aux mises en pages soigneusement
élaborées, tandis qu'il nous invitait à bord d'un navire pour une
traversée privilégiée et exaltante en Terres Australes.
Dans
Lepage-Une monographie (Mosquito, 2008), il confie:
«Aujourd'hui, nombre de carnets de voyages sont réalisés après
le séjour, souvent d'après photos (…) J'ai un peu de mal à
comprendre cette démarche. C'est tellement jubilatoire de les
réaliser sur place, tant au niveau des rencontres que ça suscite,
que dans l'état dans lequel on est.»
C'est
avec cette nouvelle manière d'appréhender la bande dessinée qu'il
nous propose l'incontournable Un printemps à Tchernobyl
(2012), témoignage de ce qu'est devenu Tchernobyl aujourd'hui.
Toute
nouvelle parution d'Emmanuel Lepage est donc pour ses lecteurs une
promesse de dépaysement, d'éblouissement, d'instruction, mais
surtout d'humanité.
La
lune est blanche
peut être
le prolongement de Voyage
aux îles de la désolation.
Dès les premières planches, Yves Frenot, directeur de l'Institut
polaire français Paul-Emil Victor, invite l'auteur à intégrer une
mission scientifique
dans la base polaire Dumont d'Urville
en
Terre Adélie «...et
j'aimerais beaucoup que tu fasses un livre là-dessus (…) ce qu'il
faudrait, c'est que tu partages la vie de la base, que tu puisses
évoquer les programmes scientifiques qui y sont menés, les
différents corps de métier, la vie quotidienne».
L'auteur
décide alors d'également
intégrer à cette mission son frère François Lepage, photographe.
Cette nouvelle aventure, qu'il ne peut se représenter que «lyrique,
démesurée, romanesque»,
va alors se doubler d'une quête plus introspective : «voyager
avec mon frère, c'est voyager avec notre histoire».
Ainsi vont se mêler avec générosité et
fluidité récits
des grands explorateurs passés (Jean-Baptiste Charcot, Ernest
Shackleton…), informations scientifiques, quotidien avec
les
autres membres de la mission, découverte et émerveillement face à
la
nature, mais aussi confrontation avec
son austérité et sa violence … et récit de l'intime comme jamais
avant chez Emmanuel Lepage.
Cette
adjonction du travail de photographe de François Lepage, ce projet
qui n'est «possible
qu'ensemble»,
permet non seulement d'enrichir la dramaturgie de l'album, mais
invente une forme inédite. Au-delà
des différences de médium, chacun des coauteurs s'attache à rendre
compte de ce qu'il voit, à en proposer une forme montrable. Plus le
voyage avance, plus la question de chacun semble être: comment
rendre compte de cette immensité abstraite qui nous entoure? «La
glace n'est pas blanche mais turquoise, outremer parfois ocre ou
rouge et la mer d'un indigo profond (…) Des compositions
abstraites, cinétiques, se dessinent, se construisent et éclatent
autour de la coque».
L'enjeu de l'aventure humaine se double alors d'une quête picturale
toute aussi passionnante qui font de La
lune est blanche
un album à la beauté diffuse.
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