Le bonheur illicite des
autres – Manu Joseph – éditions Philippe Rey –
2014.
Dans les années 80, au sein de la
ville de Madras, un jeune homme de 17 ans du nom d'Unni Chacko accède
à une terrasse, se juche sur une balustrade, reste immobile, puis
plonge en avant et meurt sur le coup au contact du béton, laissant
sa famille sans aucun indice concernant ce geste.
Trois
années plus tard, un courrier sans destinataire posté par Unni le
jour même de son décès est retourné à ses parents. En ouvrant
cette enveloppe, Ousep Chacko, le père du jeune disparu, découvre
une bande dessinée de quatorze pages réalisée par son fils, dont
seuls manquent les cartouches de texte. Convaincu de la relation
entre ce travail et le geste fatal, Ousep décide d'interroger à
nouveau l'entourage d'Unni afin non pas d'avoir une explication
définitive, mais de découvrir qui était son fils car «Quelques
illusions qu'ils puissent se faire, les parents ne connaissent jamais
vraiment leur enfant».
Ousep ne semble habité que par l'unique désir d'avancer vers son
fils en interrogeant ses relations passées : Sai, Mythili, Balki,
Somen... des adolescents devenus aujourd'hui adultes, marqués
indéniablement par la stature d'Unni. Quête incessante, quasi
démente, qui entraîne avec elle toute la famille Chacko. Outre le
père qui s'abîme dans l'alcool, on suit Mariamma la mère qui parle
seule depuis un choc survenu dans son enfance «Parfois,
Mariamma se met dans tous ses états et, quand cela arrive, elle perd
la sensation du monde qui l'entoure»
et Thoma le jeune frère qui se construit dans l'ombre de ce modèle
imposant «A
l'âge qu'a Thoma maintenant, Unni avait été choisi pour jouer
Nehru dans la traditionnelle pièce interprétée lors de la fête de
l'Indépendance de l'Inde, mais Thoma, une fois de plus, répète
comme simple figurant dans une foule immense de figurants.»
Si
le simple résumé du récit pourrait laisser à penser que nous
sommes face à un ouvrage fait de douleur et de mélancolie,
l'expérience de sa lecture en est toute autre. Dès l'amorce, et le
chapitre pourtant intitulé Une
famille de perdants,
la vision du monde que nous propose Manu Joseph est faite de
fantaisie. A aucun moment, l'évocation du défunt Unni ne laisse
entrevoir un quelconque désespoir dans son geste, et ce même si des
clés semblent découvertes par son père «il
est possible que ce soient là des événements banals dont la
signification est exagérée par la décision qu'Unni avait prise de
mourir».
De même, si les membres du cocon familial semblent enfermés dans
une forme de résignation, ils se révèlent dans un même mouvement
de magnifiques personnages, dont l'impulsion de vie ne cesse de les
mouvoir, tout autant que cette galerie fantasque de portraits
d'ex-adolescents ayant partagé des moments avec Unni, désormais
devenus des adultes tout autres ou s'étant parfois cloisonnés dans
leurs angoisses existentielles «Les
enfants font des choses bizarres, qui sont le plus souvent oubliées
car, par la suite, ils deviennent des adultes tout à fait sensés.
La plupart d'entre eux, du moins. Mais certains ne passent pas la
barre, n'est-ce pas?». C'est
dans cette antinomie entre affliction et drôlerie que Le
Bonheur illicite des autres
révèle sa singulière beauté. Dans un même mouvement, on est à
la fois ému, interpellé et illuminé par cette lecture qui vous
accompagne bien après son achèvement.
Commentaires
Enregistrer un commentaire