Les
enfants de Sitting Bull – Edmond Baudoin – éditions
Gallimard / Bayou – 2013.
Made
in U.S. 2
Couma
aco, Alph'art du meilleur album à Angoulême en 1992, avait été
l'occasion pour Edmond Baudoin d'évoquer son grand-père du côté
maternel, John Carney, personnage solitaire, charismatique et attaché
à son arrière-pays niçois. L'auteur nous revient avec un ouvrage
nous contant la vie de Félix Louis Baudoin, l'autre grand-père, du
côté paternel, né en 1863 et parti à 12 ans vivre une vie
d'aventure.
Cette
histoire, les lecteurs de Baudoin la connaissent déjà en partie par
le mini-album Made in U.S. publié en 1995, dans lequel le
grand-père était étonnement nommé Joseph. Nombre d'éléments de
cette vie trépidante étaient déjà là: le jeune homme attaché à
un mât pour cause de variole, sa participation dans le creusement du
canal de Panama, la construction du chemin de fer à travers l'Ouest,
sa rencontre avec Buffalo Bill, sa présence à ses côtés lors de
la reddition de Sitting Bull... Dans Les enfants de Sitting Bull,
foule d'épisodes sont précisés: son poste de vigie à bord d'un
baleinier, son travail en compagnie d'indiens Mohawks dans
l'édification du pont de Brooklyn, son engagement dans la marine des
États-Unis... Ses exploits, dignes des plus grands romans
d'aventures, racontés par le père de Baudoin à ses deux fils,
faisaient bien évidemment rêver le jeune Edmond et son frère
Piero.
Dans
les indispensables Entretiens avec Edmond Baudoin, publiés en
2001 aux éditions Mosquito, l'auteur avouait: «Je ne sais pas
trop comment m'y prendre avec l'histoire de ce grand-père paternel
qui est la plus dingue qui soit. Elle tient du gag. On croirait de
l'affabulation». Si cette histoire fascine depuis longtemps
Edmond Baudoin, elle l'interroge
non seulement sur la véracité des faits, mais surtout sur l'écart
possible entre cette mythologie et la réalité. C'est en faisant de
ces questionnements son
sujet que Les enfants de Sitting Bull se distingue et
transcende son aîné Made in U.S.. Si des documents
reproduits dans l'album corroborent les péripéties attribuées au
grand-père, Edmond Baudoin, malgré son admiration, triture ces
histoires, les interroge,
en accepte la beauté tout en se refusant à occulter les «jours de
rien», qui sans doute étaient loin de l'héroïsme affiché. Avec
une terrible question en suspend: «pourquoi ces hommes, dans les
semaines vides, auraient-ils été plus beaux que d'autres
colonisateurs du monde?» (p63).
Entre
ces deux albums, l'auteur a passé trois ans en Amérique, «dans
le pays des Mowhaks», découvrant tous ces paysages avec un
émerveillement d'enfant, mais également le choc de l'art inuit, et
la rencontre avec l'histoire de la population amérindienne que l'on
pousse à s'adapter ou à disparaître.
L'homme
qui tua Liberty Valence se termine par cette célèbre phrase
«Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la
légende». Edmond Baudoin, en questionnant
sa mythologie familiale, nous offre à la fois un album pétri
d'enfance et d'aventure mais qui se refuse à occulter les à-côtés
de cette légende et à en nier les implications contemporaines. Les
enfants de Sitting Bull est un des sommets de l’œuvre d'un
auteur dont la cohérence ne peut que forcer l'admiration.
(Article à retrouver dans le prochain numéro de Page ...merci à eux.)
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