Quelques questions à Fred Bernard concernant le beau et réjouissant Chroniques de la vigne / Conversations avec mon grand-père.
Quelques questions à Fred Bernard concernant le beau et réjouissant Chroniques de la vigne / Conversations avec mon grand-père.
Fred Bernard avec son Chroniques de la vigne /
Conversations avec mon grand-père, dont nous disons le plus
grand bien ici, nous offre une bande dessinée vivante et
enthousiasmante. Il y parle du monde de la vigne, mais dresse
également un bel hommage à son grand-père. La qualité de l'album
nous a incité à lui poser quelques questions afin de mieux
connaître la genèse de l'album, mais également de faire découvrir
cet auteur qui propose depuis dix ans des récits faits d'aventure,
de sensualité et de goût du voyage. Nous remercions Fred Bernard
qui s'est prêté avec générosité à ce questionnaire.
1- Vous avez publié votre première bande dessinée il y a 10 ans: La tendresse des crocodiles, album avec lequel vous débutiez la «saga» de la famille Picquigny. Dans cette grande «série» d'aventures à travers le monde (Afrique, Amérique, Angleterre, Inde) était déjà évoqué comme point d'ancrage le village dont votre famille est originaire: Savigny-Lès-Beaune. Aujourd'hui, à l'image de votre héroïne, vous semblez y faire une pause après moult voyages. Pouvez-vous nous dire à quand remonte ce projet des Chroniques de la vigne et comment vous le situez dans votre œuvre?
Je
crois que tout ce que j'écris forme un "pack". Les
chroniques de la vigne ne dérogent pas à la règle; comme dans
Jeanne Picquigny, y figurent des rencontres, des soirées arrosées,
des voyages, des femmes, des amis, de grandes discussions et de
l'amour… Celui du vin surtout, certes. Et comme je n'ai pas
beaucoup d'imagination, je colle plutôt à la réalité, à ce que
je connais le mieux, aux endroits où je suis allé et que j'ai aimé,
aux gens que j'ai appréciés, qui m'ont marqué… J'y mets beaucoup
de moi.
J'ai
songé à réaliser cet album aux éditions du Seuil, peu après La
tendresse des crocodiles, il y a une dizaine d'années. Jacques
Binsztok, mon éditeur, trouvait ces petites histoires intéressantes
à mettre en images, mais à l'époque je tenais absolument à signer
ce livre à quatre mains avec mon grand-père et ce dernier refusait
de s'y mettre : "Il y a trop de livres sur le vin, qu'est-ce que
tu vas leur raconter comme conneries, c'est devenu un truc de snobs…"
et patati et patata… Je lui en reparlais de temps en temps, je
pensais finir par le décider un jour ou l'autre…
Puis
j'ai rencontré Jacques Glénat en 2009 au moment où j'écrivais
Himalaya Vaudou avec Jean-Marc Rochette. Re-belote, au cours
d'un dîner, il me parle de sa passion pour le vin, il me parle des
Gouttes de Dieu, je lui parle de Savigny, de mon grand-père
(je raconte souvent ces histoires à table, dès que je bois du vin,
je pense à tout ça…), et Jacques Glénat me demande si je ne veux
pas raconter ces histoires bourguignonnes pour lui. J'en reparle une
énième fois à mon grand-père qui n'a pas changé d'avis…
Arrive
le succès des Ignorants d'Etienne Davodeau, Jacques Glénat
me relance, "c'est le moment!", je vois mon grand-père qui
se rapproche des 90 ans, et je me décide enfin à le faire "sans
lui". Même pas une petite préface… Il est terrible, mon Papy
!
2- Vous avez souvent utilisé le noir et blanc pour vous exprimer. Deux exceptions notables : L'homme-Bonsaï avec la colorisation réussie mais classique de Delphine Chédru (responsable par ailleurs des couleurs somptueuses de la série Esteban) et Ursula vers l'amour et au-delà réalisée par vos soins. Dans ce dernier, l'utilisation originale de l'aquarelle et de rehauts de crayons de couleurs semblait accompagner parfaitement l'énergie de votre dessin. Dans Chroniques de la vigne, vous poursuivez cette exploration de l'aquarelle. Plus qu'une mise en couleur, votre dessin semble avancer de concert avec celle-ci. Dans la création d'un album, qu'est ce qui dirige votre choix d'utiliser le noir et blanc ou la couleur? Comment définiriez-vous votre approche de celle-ci?
Dans
l'absolu, c'est le N&B que je préfère, tout simplement parce
que le dessin est une véritable écriture. Je sais que la mienne
se rapproche parfois plus de celle d'un médecin qu'à une
typographie d'imprimeur, peut-être parce que j'ai étudié les
sciences avant d'entrer aux Beaux-Arts. Sans doute parce que je
préfère l'évocation à la précision, la poésie au réalisme.
Quoi qu'il en soit, la couleur s'impose parfois. Pour L'Homme-Bonsaï,
la collection Mirage se doit d'être en couleur et j'aimais celles de
Delphine, je voulais tenter cette nouvelle expérience avec elle.
Pour Ursula, je tenais à contre-balancer "le côté
obscur des paillettes de la vie nocturne" avec un traitement un
peu enfantin très coloré (crayons de couleurs, aplats d'aquarelles)
pour évoquer l'enfance d'Ursula à l'orphelinat, mais aussi
l'immaturité nécessaire pour considérer l'existence après 2h du
matin comme la vraie vie, la seule qui vaille…
Pour
les Chroniques de la vigne, j'ai travaillé le dessin
exactement comme mes carnets de voyage. Il s'agit d'ailleurs d'un
voyage au cœur de la Bourgogne et dans mon histoire familiale. J'ai
rempli des dizaines de carnets de voyage à l'encre indélébile et à
l'aquarelle, c'est très instinctif et très efficace pour entretenir
le souvenir et rendre les atmosphères… En les ouvrant, je suis
rassuré de voir que j'ai évolué en 25 ans… Mais en bande
dessinée c'est assez laborieux, car les images s’enchaînent et
doivent se ressembler un minimum, sans pour autant tomber dans le
coloriage. Je crains l'ennui plus que tout, le mien, mais surtout
celui de mes lecteurs…
3- Lorsqu'on lit le sous-titre de l'album, Conversations avec mon grand-père, on se remémore Art Spiegelman interrogeant son père dans Maus muni d'un magnétophone et d'un carnet et fixant des rendez-vous réguliers à celui-ci, afin de conserver le maximum de leurs entretiens. Pouvez-vous nous dire de quelle manière vous avez procédé pour votre album?
C'est
très simple, j'avais tout en tête depuis toujours ou presque, pour
les avoir entendues 100 fois, et répétées autant de fois. La
tradition orale… J'ai fait des listes d'anecdotes et j'en ai
conservé la moitié à peu près. J'interrogeais mon Papy si j'avais
un doute. Je me suis d'ailleurs trompé sur une chose qui lui tient à
cœur : il n'a pas été "appelé" à la guerre, mais il
s'est engagé… C'est vrai que ce n'est pas la même chose.
4- Malgré son aspect «carnet», les Chroniques de la vigne me paraît un album très écrit, construit. Les choses y sont évoquées par petites touches, parfois enfantines mais dans un ordre qui invente du sens et de l'émotion. Ainsi, on alterne scènes humoristiques, anecdotes «vigneronnes», évocation pudique de votre propre histoire...tout ceci paraît extrêmement léger mais charge progressivement notre lecture. Parmi les passages les plus touchants figurent ces pleines planches qui rythment l'album et qui vous représentent votre grand-père et vous marchant au milieu des vignes. Comment avez-vous construit cet album? L'avez-vous créé d'un seul tenant ou l'avez-vous « trituré », remonté jusqu'à obtenir ce résultat à l'apparente simplicité?
Comme
à mon habitude, j'ai d'abord écrit tous les textes et les
dialogues, dans une oralité plus naturelle d'apparence, moins
littéraire que dans Jeanne toutefois. Sur le ton de mes
discussions avec mon Grand-père justement… J'ai choisi les 60
petites histoires avec Benoît Cousin, mon éditeur. Certaines
étaient trop éloignées de mon grand-père ou de ses amis, ou trop
"hard"…
J'ai
dessiné l'ensemble dans un désordre absolu, et j'ai trié, chapitré
à la toute fin, plus ou moins par thème, la guerre,
l'environnement, mon enfance, les vins d'ailleurs… Mais tous ces
sujets étaient perméables entre eux… Benoît m'a aussi aidé pour
l'ordre final, ce n'était pas si facile…
5- Vos albums -jeunesse et bande dessinée- révèlent votre goût pour de grands écrivains épris de voyages : Jack London, Robert-Louis Stevenson, Pierre Loti, Joseph Kessel, Alexandra David-Néel... cette passion pour cette littérature trouve-t-elle chez vous des équivalents dans le monde de la bande dessinée? Cela nous amène peut-être à évoquer quelques albums/auteurs qui ont fait que Fred Bernard a eu envie de devenir (entre autres!) auteur de bande dessinée?
Ce
sont en effet des auteurs et leurs livres qui m'ont poussé à
voyager.
En
bande dessinée, pour mon goût personnel, je mets loin devant tous
les autres Hugo Pratt. Il est même "hors concours" tant
il s'approche de ce que je dévore en littérature… Mais j'ai
commencé, et je continue de lire avec grand bonheur Spirou, Picsou,
Tintin, Cosey aussi. J'ai toujours une préférence pour les
personnages qui voyagent, qui sont en quête.
Mais
Pratt est le plus difficile à suivre et demande vraiment réflexion,
j'adore vraiment ça.
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