«La peur que l'on
inspire est notre meilleure arme» capitaine Boulet (p.28)
La
Colonne (tome 1 sur 2)
est la nouvelle variation de Nicolas Dumontheuil. Pour la deuxième
fois de sa carrière, l'auteur n'est pas seul maître à bord et
travaille en collaboration avec le scénariste Christophe Dabitch à
qui l'on doit quelques uns des très beaux albums publiés par
Futuropolis ces dernières années.
Cela
fait vingt ans que Nicolas Dumontheuil nous propose des bandes
dessinées exemplaires. La publication de Qui a tué l'idiot ?
dans les pages du mensuel (A Suivre), puis sous forme d'album
en 1995, reste à ce jour un des plus beaux manifestes publiés par
un jeune auteur. Tout ce qui fait l'originalité de cet auteur était
déjà là: non sens, mises en page cherchant l'efficacité plus que
la démonstration, sens du récit, traits et couleurs soignées
tranchant avec les visages et expressions caricaturales... Si le
style de Dumontheuil imprégne l'ensemble de ses autres albums, les
expériences graphiques et narratives sont constantes. De la couleur
directe à des traits griffés, en passant par une schématisation de
la ligne, chacun de ses albums, chacune de ses séries, est le
territoire d'une remise en cause fascinante.
La
colonne s'inspire de faits authentiques : en 1899 deux officiers,
Voulet et Chanoine, dirigent l'expédition française au Tchad.
Celle-ci mutera progressivement en machine à massacre, bien loin de
l'idéologie civilisatrice parfois attribuée alors à la
colonisation.
Si
les auteurs prennent dès le départ une certaine distance avec leur
sujet (Voulet devient Boulet, et Lemoine pour Chanoine), les faits,
eux, sont bien là. Nos deux officiers, auréolés de leurs exploits
passés en pays Mossi, attendent leur départ pour le Tchad entre
salons parisiens, conférence à la société coloniale universelle
et maisons closes. La France s'est sentie humiliée à Fachoda (1898)
face à son rival anglais. Le Capitaine Boulet s'imagine alors en
rassembleur:«la mission ne sera finie que lorsque toutes nos
terres lointaines n'en feront qu'une!». Le rêve colonisateur
est bien là. La colonne avancera vers son objectif, massacrant et
pillant tout individu récalcitrant à son projet.
C'est
sous la forme d'un dialogue que nous est contée cette dérive
sanglante. D'un côté l'esprit de la colonne, de l'autre Souley,
tirailleur survivant. Ce dispositif permet aux auteurs d'insinuer le
doute dans chacun des propos, d'intégrer des niveaux de lecture, de
l'ironie. Le texte de Christophe Dabitch semble nous rappeler que le
devoir de mémoire consiste à rappeler les faits ET à les mettre en
débat, en perspective. Le style de Dumontheuil, proche parfois de la
caricature (on pense à Daumier ou Grosz), permet de rendre
«supportable» ce monde grouillant qui sombre progressivement dans
la folie. On assiste à ce spectacle médusé, halluciné et
bouleversé.
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