Le Loup – Jean-Marc Rochette – éditions Casterman – 2019


Le Loup – Jean-Marc Rochette – couleurs: Isabelle Merlet - éditions Casterman – 2019 


De retour à la BD depuis l’impressionnant Terminus en 2015, Jean-Marc Rochette surprend ses lecteurs en leur offrant, en l’espace de quatorze mois, trois nouvelles publications majeures. Comme si la redécouverte de son œuvre jusque-là majeure, Le Transperceneige (dès 1982 dans le mensuel (A suivre) ) lui avait donné la liberté nécessaire -et peut-être la confiance- pour mettre en chantier, avec force, de nouvelles propositions. Tout a commencé par le viscéral et autobiographique Ailefroide – Altitude 3954 en collaboration avec Olivier Bocquet, puis se prolonge en 2019 avec un nouveau chapitre du Transperceneige, intitulé Extinctions 1, co-scénarisé avec Matz, et enfin avec Le loup, dans lequel l’auteur devient seul maître de l’écriture, son travail graphique étant magnifié par la mise en couleur de la remarquable Isabelle Merlet.


Si un parcours purement contemplatif de l’ouvrage -dont la grande beauté du trait semble être une invitation- peut laisser penser que ce récit prolonge l’expérience d’Ailefroide, dès la lecture commencée, on sait qu’il n’en est rien. Certes, le personnage principal incarné par Gaspard semble avoir les traits physiques de Jean-Marc Rochette, mais celui-ci est berger et vit isolé dans le massif des Ecrins.


Le Loup nous raconte le combat -ou plutôt la relation qui s’invente- entre un berger et un loup dans notre société contemporaine. Ce majestueux chant orchestré d’une main de maître s’ouvre sur une scène nocturne et silencieuse dans laquelle les acteurs du récit sont définis : un loup s’attaque avec violence et méthode à un troupeau de brebis et agneaux. Le berger intervient en abattant l’animal, laissant sa progéniture isolée au milieu d’une véritable scène de carnage.


Cette scène d’ouverture est emblématique de l’ensemble du récit tant elle s’apparente à une chorégraphie. Le texte y est quasi absent, les traits de pinceaux sont vifs, tandis que le découpage semble accompagner une mise en scène dynamique en une sorte de ballet funèbre étourdissant. L’acmé du talent de Jean-Marc Rochette semble ici résumé en ces 7 planches inaugurales. 

Jamais, par la suite, l’ouvrage ne se départira de la flamboyance entrevue ici. Le loup nous parle d’un sujet d’actualité : d’un côté les bergers qui veulent sauver leur bêtes, leur seul moyen de subsistance, de l’autre le désir d’une partie de la société de protéger des espèces aujourd’hui fragilisées. La postface du philosophe Baptiste Morizot, spécialiste des relations entre l’humain et le vivant, vient confirmer l’ancrage de cet ouvrage dans une problématique contemporaine. Au-delà de cette dernière, c’est un sujet récurent de la littérature, d’Hemingway en passant par Erri De Luca, que l’auteur du Transperceneige parvient à s’approprier afin de nous l’offrir sous un nouveau jour : la confrontation entre l’homme et l’animal.


Sans aucun didactisme, Jean-Marc Rochette s’intéresse à tous ses personnages, humain comme animal, avec la même intensité. L’animal n’y est jamais humanisé. Les distances sont conservées. Chacun se découvre, s’observe. Les êtres sont avant tout des corps, meurtris dans leur existence mais aussi dans leur chair. Gaspard semble quasi mutique, masqué sous l’obscurité qu’invente la visière de sa casquette. A l’opposé, le regard du loup semble perçant, décidé. Tous deux se confrontent dans un espace sublime, à la fois magnifié dans la représentation quasi abstraite des magnifiques sommets enneigés, mais aussi qui semble être au-dessus de nous, des acteurs qui s’y meuvent. 

C’est par la puissance graphique de ses lignes tendues, par l’éclatante économie de son texte, mais aussi par le travail -une nouvelle fois- totalement adéquat de la mise en couleur d’Isabelle Merlet, que Jean-Marc Rochette parvient à s’extraire d’un simple constat des faits pour accéder au mythe.

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