Tomi Ungerer (1931-2019)

Tomi Ungerer (1931-2019)



Tomi Ungerer est mort...et je ne sais quoi écrire de peur d'être banal. 
Il a été l’artiste le plus important de ma vie.

Ma découverte de son travail remonte à un de mes tous premiers souvenirs de lecture. Il s’agissait d’Orlando. L’histoire mettait en scène un vautour « sympathique » qui, suite à la découverte du corps inanimé d’un chercheur d’or, se met en tête de prévenir la famille du blessé. Non seulement Orlando le vautour était un choix d’animal atypique dans mon monde de livres pour enfants, mais l’ouvrage renfermait une dose de violence, de bandits vraiment méchants, de mots inconnus… autant d’éléments qui me fascinaient, m’ouvraient la porte vers autre chose.

« Dans les années 1950 et 1960, la littérature enfantine américaine  n’utilisait volontairement qu’un vocabulaire très limité et je m’ingéniais (…) à utiliser des mots précis, voire techniques.(…). Il n’existe rien de mieux qu’un nouveau mot pour stimuler l’imaginaire d’un enfant. Aujourd’hui encore, de nombreux livres pour enfants sont écrits au détriment de l’érudition. J’estime qu’il ne faut pas parler d’un arbre ou d’un oiseau, mais plutôt d’un aulne ou d’un merle. »
In Tomi Ungerer, Un point c’est tout – éditions Bayard – 2011.

Puis, sous le regard bienveillant de ma mère, j’ai découvert les autres livres « pour enfants » de Tomi Ungerer.
Ma passion pour le fait de dessiner s’est construite dans la proximité d’un tel artiste.

Devenu étudiant en art, mes goûts pour le dessin s’affirmaient à travers des artistes tels Grosz, Masereel ouTopor. Autant de personnalités partageant une pratique viscérale du dessin. Ungerer s’intégrait pleinement à ce panthéon. Il en était même la figure majeure.

Tout autant que son ancienne production de livres jeunesse, le renouvellement qu’il effectua dans ce genre à la fin des années 90, à travers des titres comme Trémolo ou Le nuage bleu, ne cessait de me fasciner.
De concert avec ce nouvel élan dans sa carrière, je découvrais ses œuvres dites « pour adultes ». Celles-ci n’ont jamais cessé de cohabiter avec son travail à destination d’un public enfantin. Bien sûr, il y eut The party, mais aussi ses paysages canadiens, ses affiches (engagées ou publicitaires), ses sculptures, ses écrits autobiographiques…

Un travail foisonnant, enfantin, sarcastique, brut, jamais dépouillé de son élégance. Depuis ses années new-yorkaises, il collait, brûlait, assemblait des éléments hétéroclites, dénonçait, inventait, moquait, traçait des lignes à la plume comme au scalpel… Il semblait tout oser.
Voir de simples photos de lui agissant au milieu de ses accumulations d’objets est en soi un objet de fascination.

Aucun créateur n’a accompagné les différentes phases de mon existence avec la même intensité que Tomi Ungerer. Il a été MON artiste. Celui auquel je reviens sans cesse.

« Il faut pouvoir cracher ses pensées, mieux encore les vomir. Vomir ce qu’on a à dire. L’art pour moi, enfin le dessin, c’est un besoin. C’est ce côté naturel, donc instinctif, qui maintient en moi le petit garçon, le gamin. (…). L’instinct, c’est ma survie. »
In Tomi Ungerer, Testament – éditions Herscher – 1985.

Et pourtant, tout autant que son œuvre, c’est sa personnalité qui fut exemplaire. Toute sa vie il est resté un artiste non conforme, en marge... Les honneurs n’y firent rien. Ungerer était Français, Alsacien, Américain, Canadien, Irlandais… Il restera cet irréductible, cet homme en perpétuelle quête, laissant une œuvre où jamais ne s’exprime la lassitude. On ne peut cerner son œuvre à gros trait. On ne peut la limiter à un genre, à une identité.

Ungerer dérangera toujours. Il sera toujours cet enfant terrible parti très tôt construire sa propre voix. Comme lui dira un censeur au lycée : « Ungerer vous êtes un fumiste ». Ce manque de sérieux, Tomi Ungerer l’a assumé toute sa vie. C’est en cela que sa présence était rassurante. C’est en cela que le vide qu’il laisse aujourd’hui est immense.  On regardera encore longtemps ses livres. Mais cette personnalité si atypique, elle, nous manquera désormais.

C’est une part de nous qui a disparu ce 9 février 2019.

« Devant l’horreur, il n’existe pas d’autre solution que d’avoir recours à la blague. On retrouve ce parti pris dans l’humour juif comme dans l’humour irlandais, qui doivent tous les deux beaucoup au désespoir. La condition humaine est hélas inconditionnelle. Ce qui explique sans doute la sorte d’existentialisme à laquelle j’appartiens. Je préfère le vide au néant dans la mesure où l’on peut le combler. Ma vie se résume ainsi à une succession de procédés destinés à la rendre supportable. Ce bricolage permanent nourrit mon inspiration. Je fais d’un monstre une vache à lait. L’énergie que je mets chaque matin à calmer mes angoisses me permet de supporter la journée à venir »
In Tomi Ungerer Un point c’est tout – éditions Bayard – 2011.

Bruno

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