Charonne - Bou Kadir, 1961-1962, Une enfance à la fin de la guerre d'Algérie – Jeanne Puchol – éditions Tirésias – 2012.


Charonne - Bou Kadir, 1961-1962, Une enfance à la fin de la guerre d'Algérie – Jeanne Puchol – éditions Tirésias – 2012.


8 Février 1962 : une manifestation est organisée à Paris afin de dénoncer les attentats de l'OAS. Celle-ci est réprimée par la police. Des manifestants se réfugient alors dans la bouche de la station de métro Charonne... 9 d'entre eux y trouveront la mort, victimes d'asphyxies ou de matraquages.
Jeanne Puchol s'empare de ce sujet, qui fait déjà sens en soi, afin d'en faire une œuvre de bande dessinée, marque d'une mémoire individuelle mais aussi collective. C'est en naviguant entre témoignages de ses parents, articles d'actualité, mais aussi souvenirs d'enfance que l'auteur relate cet événement imprégné dans notre histoire. A la fois histoire de l'Algérie et histoire du militantisme. Une des grande forces de l'album est de se poser la question de «qu'est ce qu'était l'engagement de ses parents ». Comme écrit sur le monument du Père Lachaise, ces personnes sont mortes en « défenseurs des institutions et des valeurs de la République ». C'est avec maestria et une grande puissance émotionnelle que Jeanne Puchol parvient à rendre le drame du métro Charonne. Graphiquement, ces planches sont d'une grande force. L'auteur en oublie le décor pour se concentrer sur les hommes et les femmes qui constituent cette manifestation : seuls, puis nombreux, puis brandissant des banderoles «non au fascisme», puis faisant face aux forces de police, puis pris de panique, puis sombrant dans la bouche de métro. Les silhouettes s'y découpent sur un fond d'encre. L'auteur, plus loin, s'interroge sur la façon de représenter cette scène. Elle avoue avoir envisagé d'emprunter une scène du Cuirassé Potemkine d'Eisenstein afin d'atténuer la violence, l'inmontrable. Finalement, la solution graphique trouvée est d'une force fulgurante et glaçante sans doute bien plus importante. S'en suivent des représentations géographiques des lieux : rues, parcours, cimetière... L'action est dans les corps, le souvenir dans les lieux. Jeanne Puchol réalise un grand album de bande dessinée, ni didactique, ni manichéen, simplement fort et essentiel. La forme ne s'efface jamais face au propos, elle lutte avec ce dernier.

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